Ancien chef de file du Rassemblement national pour la démocratie (RND), Me Abdoulaye Garba Tapo, tout en conseillant à ceux qui raillent la fusion du RND dans l’Adéma d’aller brouter ailleurs, estime que la chance du Mali se trouve dans les grands ensembles chose qui, regrette-t-il, n’est pas du tout gagnée dans une atmosphère où l’on occulte le vrai débat au profit du superflu et des querelles byzantines. Les tenants et les aboutissants d’une fusion. Interview.
Les Echos : La fusion Adéma-RND a fait couler beaucoup d’encre et suscité des débats, quel commentaire faites-vous de ces réactions ?
Abdoulaye Garba Tapo : J’avoue que je ne m’attendais pas à nous voir couverts de tant d’honneur, ni surtout de tant d’indignité pour un acte aussi anodin qu’une fusion, une opération prévue par les textes, et qui aurait dû constituer une véritable opportunité pour bon nombre de nos acteurs politiques. Mais nous vivons dans un pays où nous avons tendance à fuir les vrais débats et à se concentrer sur le futile et les questions de personnes.
Je crois qu’il y a tellement de choses importantes sur lesquelles les débats pourraient porter, et dont la résolution apporterait un grand plus à la société malienne, et la fusion entre deux partis politiques, un acte somme toute normal, et même banal, n’entre pas dans ce cadre, car ne concernant que les directions de ces partis, leurs cadres et leurs militants. Pour le reste, chaque parti a ses propres problèmes, et devrait se consacrer à y trouver une réponse.
Dans le cadre du RND, nous avons jugé bon d’aller dans cette direction, et nous nous félicitons d’avoir l’adhésion de tous ceux dont l’opinion compte pour nous, c’est-à-dire d’abord nos cadres et militants, ceux du partenaire, c’est-à-dire l’Adéma et ensuite l’opinion publique que nous respectons dans son ensemble. Franchement, tous ceux sur la compréhension et la bénédiction desquelles nous comptions ont réagi favorablement, et c’est cela qui compte.
Les Echos : Pour vous, la fusion serait-elle une action à encourager ?
A. G. T. : Je pense que oui. Pour la plupart des formations, c’est la seule vraie alternative qui peut s’offrir, à condition bien entendu de remplir certains critères, particulièrement celui de la crédibilité. La crédibilité est aussi importante que la taille, car il faut savoir rassurer sur votre sérieux et votre fiabilité et inspirer suffisamment confiance et respect, c’est le cas de nos rapports avec l’Adéma.
Pour le reste, ceux qui fustigent cette fusion feraient mieux de brouter ailleurs, c’est-à-dire chercher les voies et moyens pour permettre à leurs propres partis de sortir de l’ornière.
Sinon s’attaquer à nous, alors que nos détracteurs sont dans une situation pratiquement sans issue, et que nous au moins, c’est-à-dire le RND, nous avons pris la responsabilité de chercher une porte de sortie difficile mais courageuse pour notre parti, ça fait quelque peu le corbillard qui raille l’ambulance, et ça fait pas très sérieux, plutôt cocasse et saugrenu.
De toute façon, ces actes n’auront aucun impact sur notre position. Nous avons toujours su prendre nos responsabilités au RND, et nous avons toujours su aller au bout de ce que nous jugeons bon pour notre parti. Que de salves avions-nous reçu lorsque nous avions décidé de ne pas adhérer au Coppo ! Mais depuis lors combien des acteurs parmi les plus intransigeants de ce mouvement n’ont-ils pas fait bien plus que nous dans le rapprochement avec l’Adéma, et lui doivent même aujourd’hui leur survie et leur fortune politique ?
Les Echos : Qu’attendez-vous de cette fusion ?
A. G. T. : Personnellement rien. Je n’ai pas négocié et ne ferai rien de tel pour moi-même. Ce qui compte, c’est l’intérêt du parti et de tous ceux qui se sont sacrifiés pour sa cause, et à qui très peu de perspectives s’offrent désormais. Il faut, en tant que responsable de parti, leur proposer d’autres alternatives qu’ils ne sont pas forcés d’accepter. On a l’habitude dans ce pays de toujours trouver des motivations inavouables à ce que font les autres, et qu’on n’est pas souvent capable d’accomplir soi-même.
Je rappelle que l’Adéma n’est pas au pouvoir, et n’est même pas sûre de ce que demain sera fait, donc il y a peu de chance à ce que ce parti puisse m’offrir à terme un tremplin quelconque, même pas un poste d’ambassadeur à Mopti. Seulement je pourrai trouver un cadre plus serein pour utiliser mon énergie, et me battre aux côtés de personnes que je respecte et qui me respectent.
Elles ont eu à nous pratiquer, et savent que nous ne sommes pas partants pour la voie de la facilité, et que nous respectons toujours nos engagements.
Mon parti y gagnera sûrement à cette fusion. Voilà plus d’une décennie que nous nous battons pour survivre, et maintenir les valeurs qui sont les nôtres, et qui nous ont valu respect et considération. Je ne peux pas parler d’échec, avec des résultats très honorables, et qui sont en adéquation avec les moyens qui étaient les nôtres, et qui ne nous permettaient pas de faire plus que ce que nous avons réalisé, avec des sacrifices considérables.
Mais il est difficile de parler de véritable succès, car nous avons sans aucun doute atteint le seuil de croissance maximum pour un faible parti qui se débat et qui a fait de sa dignité le maître-mot, et qui sait qu’il ne peut au fond compter que sur lui-même, et qu’il a atteint ses limites.
Dès lors, il n’y a que deux solutions, soit chercher comment sortir de cette impasse en prenant une décision responsable et courageuse, ou bien attendre tranquillement un déclin qui, inévitablement, se produira, le parti n’ayant plus les moyens de nourrir les ambitions des cadres et militants, et s’exposant aux risques de les voir, par découragement et désespoir, se tourner vers d’autres horizons et répondre aux chants de sirène de partis plus fortunés ou jouissant de plus de faveurs.
C’était ce qui se dessinait à terme et risquait de s’accélérer avec la panique qui allait gagner nos rangs et ceux de la plupart des partis avec l’approche des municipales. Seulement nous, nous avons su nous faire violence pour prendre la décision qui s’imposait de toute évidence, ce que ne pourront pas faire beaucoup de nos malheureuses formations politiques, engluées dans l’indécision et l’immobilisme.
Si c’est cela de l’opportunisme, eh bien je revendique cette qualité, pour une fois qu’elle est exercée pour la juste cause.
Nous pensons avoir fait le bon choix de fusionner, au moment où le parti peut présenter quelques attraits. Nous sommes au gouvernement, à l’Assemblée, dans les municipalités avec 154 élus communaux, et des positions très confortables comme Mopti, Kati, des villes où nous sommes depuis notre création premier ou deuxième, Kayes ville où nous sommes arrivés 5e en nombre de conseilleurs municipaux, le cercle de Koutiala où nous sommes 3e avec 47 conseillers.
Si avec tout cela des plaisantins nous traitent de parti lilliputien et insignifiant, j’avoue qu’il m’est difficile de ne pas céder à une tentation qui ne m’est pas coutumière, celle de répondre par le mépris ou le dédain face à de si basses incohérences.
Ces gens-là ne savent pas ce que coûte l’élection d’un seul député en termes d’efforts humains et matériels, ni même celle d’un conseiller, or sur les 130 partis existants, plus d’une centaine n’ont même pas un seul conseiller, et nous avons eu plus de 150 dans des conditions très pénibles. C’est un résultat dont nous sommes plutôt fiers, et nous ne le devons principalement qu’à notre sérieux et à notre combativité.
Maintenant pourquoi avec l’Adéma ? Nous aurions pu aller avec bien d’autres partis, et bien peu parmi ceux qui comptent quelque peu nous auraient fermé la porte. Le choix de l’Adéma s’explique par bien des raisons, notamment des rapports plus anciens qui ont été globalement positifs, et aussi la réalité du terrain. Dans la plupart des localités où nous sommes fortement représentés, la complémentarité avec l’Adéma était bien plus envisageable, notamment Mopti où nous venions de faire une liste commune victorieuse aux dernières législatives, Kati où nous étions alliés aux municipales, et j’en passe encore.
Les Echos : Cette décision prise par vos états-majors a-t-elle l’adhésion de vos bases ?
A. G. T. : Une telle décision ne peut jamais aller sans rencontrer quelques difficultés, et nous en étions conscients dès le départ. Globalement, elle a été bien accueillie chez nous, tout comme je le crois bien par les cadres et militants de l’Adéma. Maintenant, pour sa mise en œuvre, elle va entraîner des rivalités auxquelles n’échappent pas même les rapports entre les anciens membres de l’Adéma entre eux-mêmes, ce qui est de bonne guerre.
Nous sommes sur le terrain politique, où les gens se connaissent entre eux et ne peuvent méconnaître les valeurs des uns et des autres. Certains de nos membres étaient originairement de l’Adéma, et c’est pour eux que c’était plus difficile à encaisser, mais la grande majorité d’entre eux s’est rangée à la discipline du parti. Les responsables RND, surtout dans les localités où nous sommes bien représentés, continueront à jouer dans la nouvelle considération un rôle tout aussi important que par le passé.
Les Echos : Quel est le message que vous voulez lancer à la classe politique malienne ?
A. G. T. : Je termine par un appel à tous nos politiques à plus d’imagination et de réalisme, de pragmatisme aussi, c’est la seule façon de faire évoluer notre action et à la rendre crédible et performante.
Il y a déjà eu des fusions avant celle de l’Adéma-RND, qui n’ont pas entraîné tant de vagues, pourquoi la nôtre alors ? C’est vrai qu’elle laisse beaucoup de politiciens perplexes, et surprend tant elle paraissait imprévisible, car bien peu auraient eu une telle idée dans de telles circonstances, c’est-à-dire celles que vit le RND, un parti occupant une position idéale aux yeux de beaucoup d’autres mouvements de taille moyenne, présence au gouvernement et à l’Assemblée, une bonne poignée d’élus, et qui décide de s’auto dissoudre pour intégrer un mouvement plus fort et bien plus viable.
Cela dépasse certains entendements, or c’est ce qu’il convient parfois de faire, quoi qu’il en coûte, pour se donner les moyens de peser sur les événements, car c’est cela l’ambition de tout mouvement politique, et non pas de vivre de petites rentes occasionnelles.
Sans prophétiser déjà, je prévois que bientôt il y aura une forte poussée de ces fusions, et j’espère que, pour beaucoup, elles interviendront à un moment où elles en vaillent encore la peine et qu’elles ne soient plutôt perçues comme des actes désespérés, quand il est pratiquement trop tard, et que la mort et la désolation frappent déjà à la porte. On réalisera alors que le RND a eu pour une fois encore raison pour une décision si pleine de bon sens. Nous passerons alors pour des précurseurs.
Assitan Haïdara