Pour le voyageur lambda, c’est-à-dire pour celui qui n’a d’autre choix que d’emprunter un transport en commun, aller à Tombouctou par la route relève soit du parcours du combattant, soit du pur calvaire. Cela dépend du type de véhicule dans lequel on embarque, de l’âge de celui-ci et de la plus ou moins grande expérience du chauffeur. Située à 900 kilomètres de Bamako, la Ville des 333 saints peut être ralliée par deux trajets différents. Celui de Niono-Nampala-Léré-Nianfunké-Tonka a le désavantage d’être le plus long (431 kilomètres), de ne pas bénéficier d’une vraie régularité de desserte et d’être impraticable lors de la saison de pluies. Il n’est pas donc étonnant de voir les voyageurs se rabattre donc sur l’alternative Douentza-Tombouctou, segment encore surnommé la Route de l’espoir qui permet de se retrouver à destination au bout de 196 kilomètres.
Par la force des choses, Douentza est devenue une ville-carrefour pour tous les voyageurs en partance ou en provenance du « Grand Nord », puisque ceux qui vont à Gao se mêlent à ceux qui se rendent à Tombouctou. Pour les voyageurs venus par autocars, la localité a valeur d’étape obligée. En effet, les véhicules qui démarrent de Bamako à 8 heures rallient Douentza aux environs de 17 heures ou 18 heures. Une continuation « nocturne » étant fortement décommandée, les passagers sont donc obligés de s’organiser pour passer la nuit ici. Et certains habitants de la ville sont mis à l’épreuve. Notamment les responsables de la préfecture. En effet, la résidence du responsable administratif est devenue un point de ralliement pour de nombreux « missionnaires » de l’Administration publique en partance pour Tombouctou. A notre passage, nous recensions une vingtaine de personnes installées aussi bien dans les différentes pièces du pied à terre qu’au logis même du préfet. « Les gens viennent nous demander une place pour se reposer afin de reprendre les forces et d’affronter la partie la plus difficile de leur voyage. Nous recevons tous les jours des personnes de passage et il nous arrive fréquemment de leur abandonner nos chambres », témoigne l’épouse du préfet.
UNE ÉPROUVANTE RÉALITÉ : Le matin, il faut se rendre de bonne heure à la gare routière de Douentza où sont alignés les véhicules capables de faire le trajet. Les « tout terrains » de marque Toyota à l’âge très variable prédominent, mais on retrouve aussi des cars et des camions. A l’embarquement, les commentaires vont bon train et les vieux briscards prodiguent leurs recommandations aux novices pas très rassurés. Les chauffeurs glissent eux aussi leurs conseils. « Ne mangez pas trop, je ne veux pas voir mon véhicule rempli de vomis », avertissent-ils avec un regard éloquent vers les passagers. Les nouveaux venus sont charitablement avertis que le trajet sera aussi long que difficile. Pour un départ de Douentza vers 8 heures, la fin du voyage est annoncée aux environs 16 heures lorsqu’on emprunte un véhicule en bon état. Et à 18 heures – 19 heures pour ceux qui ont trouvé place dans des modèles plus anciens.
Papou, un jeune chauffeur de Douentza, nous fait savoir que la route a commencé à se dégrader juste après le départ de ceux qui l’ont faite, c’est-à-dire les agents du Génie militaire. Aujourd’hui, elle est une succession de trous, de crevasses, de tôle ondulée et de larges bandes de sable. « C’est devenu la route du désespoir », lance notre interlocuteur. Il fait ce commentaire sans sourire pour bien nous indiquer qu’il ne s’agit pas d’une boutade d’un goût douteux, mais bel et bien de la description d’une éprouvante réalité. Effectivement – et surtout pour ceux qui embarquent dans des 4X4 sans âge, des cars et des camions -, le voyage peut paraître interminable. La seule localité qui vaille d’être mentionnée sur les 196 kilomètres de trajet est Bambara-Maoudé, modeste bourgade dont les habitations sont dispersées sur une vaste étendue ocre. En outre, il n’y a aucune couverture en télécommunication sur la plus grande partie du tronçon. En cas de panne, la seule solution consiste à attendre le passage d’un autre véhicule. En espérant que celui-ci a les moyens de vous secourir.
Doba, un chauffeur très convoité sur le tronçon (les passagers louent la sûreté de son coup de volant), explique que sur certaines de ses parties la route est tellement mauvaise que les conducteurs font le choix de l’abandonner et de rouler directement sur le sable. Avec bien sûr, le risque de s’engluer pour ceux qui connaissent mal la zone. Rien d’étonnant dans ces conditions que les grandes compagnies de transport qui s’étaient risquées jusqu’ici ont préféré abandonner le tronçon depuis plus d’une année. « On se débrouille comme on peut avec les rares cars, camions et autres 4×4 qui acceptent de faire le périple », confie une élue de la Région.
Cependant, comme nous le disions, tous les voyageurs ne sont pas logés à la même enseigne de l’inconfort. Si la traversée semble moins pénible pour les 4X4, elle peut relever de l’aventure avec les cars et les camions. Ceux-ci ne peuvent se risquer hors de la route quelque soit l’état dégradé de celle-ci et les accidents à leur niveau ne sont pas rares.
COMME UN VIEIL AMI : Quelle alternative à la route ? En tous les cas, pas l’avion trop cher. Sans doute le bateau, dès que le niveau du fleuve le permet. Preuve du désamour que suscite la route de l’Espoir, les pinasses à fond plat refusent du monde dès qu’elles sont mises en service. Pourtant tous ceux qui y embarquent reconnaissent volontiers que la traversée n’est pas sans dangers. Les habitués vous disent que le voyage peut revêtir des allures dantesques si jamais le vent se lève lors de la traversée du lac Débo. Mais qu’importe, beaucoup préfèrent affronter ce risque plutôt que les cahots de la route. Ils se précipitent au départ des pinasses qui quittent Mopti tous les mardis, vendredi et dimanche pour un voyage qui fait deux jours.
Mais ce qui est encore plus impatiemment attendu, ce sont les bateaux de la Compagnie malienne de navigation. Le premier d’entre eux a pris le départ de Mopti le 4 juillet dernier et le dimanche 27 juillet les populations de Tombouctou ont accueilli comme on reçoit un vieil ami leur bateau favori, celui qui porte le nom de leur ville. Celui-ci est arrivé après deux jours de navigation qui l’ont notamment fait passer par Niafunké, Tonka, Goundam et Diré. Les premiers coups de sirène lancés au port de Koriomé (situé à 7 kilomètres de la ville) ont fait accourir des centaines d’habitants. Les candidats au voyage se bousculaient autour du guichet pour s’enquérir du prix des billets, alors que les manutentionnaires s’affairaient à décharger un impressionnant tonnage de marchandises.
« Pour nous, les bateaux restent les meilleurs moyens de transport. Le risque d’accident est vraiment minime et nous nous y sentons à notre aise », a témoigné un habitué qui résume ainsi l’attachement des Tombouctiens pour un mode de transport auquel ils sont sentimentalement dépendants. Malheureusement pour eux, ce bonheur n’a qu’une durée limitée. Le fleuve est navigable pendant seulement quatre mois. En décembre au plus tard, les bateaux s’immobilisent. Renvoyant les voyageurs à la poussière, aux crevasses et aux nids de poule de la route de l’Espoir. Route qui mérite fort peu aujourd’hui le nom qui lui fut donné dans un bel élan d’enthousiasme.
Doussou Djiré