Le mois de carême est considéré comme celui de la piété, de la solidarité, de la tolérance, de l’abstinence. Pendant cette période, on doit davantage être préoccupé par les besoins de l’autre. Le mois de carême 2008 débute dans un contexte socioéconomique particulièrement difficile. Les autorités maliennes ont déjà envisagé des mesures visant à atténuer les soucis des consommateurs, consécutivement à la cherté de la vie.
Ces mesures ont été beaucoup appréciées par les populations, mais elles demeurent en deçà des attentes. C’est pourquoi l’on estime qu’il faut davantage de solidarité, dans toutes les directions, afin de faciliter cette épreuve que la cherté de la vie a imposée aux consommateurs. Il y a plusieurs situations qui méritent d’être revues ou corrigées pour ce faire.
En effet, malgré les efforts consentis par les pouvoirs publics pour ramener les prix des denrées de première nécessité à des proportions supportables, les commerçants détaillants n’ont jusqu’ici, pu honorer leur engagement vis-à-vis des consommateurs. C’est ce constat qui fait que les populations considèrent, en grand nombre, que les subventions de l’Etat ne servent pas à grande chose.
Le mois de carême offre l’opportunité aux commerçants de démontrer que, malgré la recherche du profit, ils ont aussi un esprit de solidarité et de tolérance. Il ne s’agit pas seulement des vendeurs de céréales, de lait ou de sucre, mais aussi des vendeurs de plusieurs autres produits de consommation courante comme les légumes, les fruits, les dattes qui sont des denrées de forte consommation pendant le mois de Ramadan. D’habitude, il n’est un secret pour personne que tous les marchands de ces produits montent les enchères dès l’annonce du mois de carême.
Ce mois bénit est perçu par beaucoup de personnes, qui se disent pourtant musulmanes, comme l’occasion de s’enrichir sur le dos des consommateurs qui n’ont pas le choix.
Aujourd’hui, il importe que ceux-ci reconsidèrent leur position. On ne peut leur demander de faire des actions humanitaires à l’image de la Fondation Partage ou de la Fondation pour l’Enfance. Ils ne peuvent d’ailleurs se le permettre, mais ils peuvent contribuer à faciliter l’accessibilité (financière) aux denrées alimentaires essentielles ; ne serait-ce que pendant ce mois bénit. Ils doivent savoir que l’argent mal acquis ne profite pas. Si ce n’est pas le cas, les autorités ont le devoir d’exercer un contrôle rigoureux sur le marché, afin de s’assurer que les consignes données par le département de tutelle, concernant les prix de denrées de première nécessité, sont respectées par les commerçants détaillants.
C’est cela aussi un devoir de solidarité des autorités à l’égard des consommateurs.
Ce suivi est nécessaire dans la mesure où au Mali, aucune mesure n’est respectée sans contrainte. L’incivisme gagne du terrain et avec lui, l’intolérance et l’absence de solidarité, une sorte de libéralisme sauvage….
Un autre aspect important est que l’on évite de vendre aux consommateurs des produits périmés, puisque cet acte est contraire à l’esprit de l’islam car, il est source de préjudices au plan santé que son prochain. Or, le mois de carême est plutôt une opportunité de purification, de demande pardon bref, de se repentir.
En ce qui concerne la solidarité, il serait souhaitable que ceux qui ont des moyens (riches) aient une pensée pour leurs voisins démunis. Cela est particulièrement important dans le contexte de conjoncture économique actuelle, qui n’est pas l’apanage du seul Mali. Le bon déroulement du mois de carême dépendra des faits et gestes de chacun de nous et il y a lieu que chacun joue pleinement sa partition dans ce processus. Espérons qu’il y a aura une synergie commune pour le bien de tous.
Sinaly MAHMOUD DICKO, PRESIDENT DU HCIM
« Il faut redonner au mois de carême, toute sa sacralité… »
Président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) depuis le 1er février 2008, El Hadj Mahmoud Dicko travaille à rendre lisible et visible, le rôle d’interface que joue cette institution entre les autorités publiques et la communauté musulmane. En cette veille du mois de carême musulman, nous avons rendu visite à ce premier responsable de cet organe fédérateur au sein duquel toute la communauté musulmane se reconnaît.
Le Pouce : Quel sens donnez-vous au carême ?
Mahmoud Dicko : C’est le sens spirituel que le Seigneur lui a donné. Le carême c’est d’abord une abstinence du boire et du manger qu’on observe. Mais ce n’est pas s’abstenir de boire et de manger seulement. Le carême est avant tout spirituel. C’est un moment de communion avec Dieu. C’est dans le mois de carême qu’il y a eu la révélation du coran. Ce mois a été celui de la grande bataille et de la première victoire de la religion musulmane. Le mois de carême est le point phare de l’islam, un moment de grande spiritualité, de recueillement, de pardon, de partage, d’entraide. Tout ce qu’on peut développer comme spiritualité se trouve dans ce mois.
Le Pouce : Sous quel signe vous placez le carême 2008 ?
Mahmoud Dicko : Le mois de carême 2008 va se passer dans un contexte difficile, un moment où les difficultés ne sont pas que conjoncturelles. C’est des difficultés réelles qui touchent toute la planète. Nous sommes de cela mais nous avons une pensée pour la communauté musulmane qui est une population pauvre. Elle est composée des hommes et des femmes d’une très grande foi qui vont aborder ce mois de carême dans des situations un peu difficiles. Nous sommes de cœur avec tout le monde. Nous plaçons ce carême sous le signe de la grande spiritualité. Ce n’est pas dans ce mois qu’il faut faire des dépenses extravagantes. En le faisant, on dénature le sens de ce mois sacré.
Le Pouce : Qui est habilité à observer le jeûne ?
Mahmoud Dicko : Tout musulman apte. Nous disons que pour jeûner, il faut être en bonne santé.
Le Pouce : Qui n’est pas autorisé à jeûner ?
Mahmoud Dicko : Ce sont les enfants, les malades.
Le Pouce : Que dire de ceux-là qui ne prient pas régulièrement et qui, à l’annonce du carême, renouent avec la prière le temps du carême et observent le jeûne ?
Mahmoud Dicko : C’est dommage que ça soit ainsi. Nous leur demandons de prier régulièrement et de jeûner ensuite. C’est encore mieux que de se lancer dans un mimétisme parce que tout le monde jeûne. Le jeûne n’est pas cela. C’est une adoration de Dieu. On se soumet à la volonté divine. Le jeûne n’est pas du conformisme. Nous disons à ceux qui procèdent de la sorte que la pratique n’est pas honorable pour un musulman. Nous leur demandons d’être régulier dans la prière.
Le Pouce : Avez-vous un message à l’endroit de la communauté musulmane et également aux opérateurs économiques ?
Mahmoud Dicko : Je commencerais d’abord par les autorités.
Malgré tout ce qu’ils ont fait comme efforts pour que la situation s’améliore, nous leur demandons, de faire encore mieux. La grande majorité, cette couche défavorable vit une situation insoutenable. Nous leur demandons d’avoir une pensée à l’endroit de cette couche qui vit et subit la flambée des prix. Nous leur lançons l’appel de tenir compte du caractère spirituel du mois de carême qui est en train de perdre de tout son sens et de toute sa valeur. On a l’impression qu’on ne fait le carême que quand on revient de la mosquée la nuit où quand les prix des denrées connaissent une hausse vertigineuse. Le mois de carême ne se sent pas dans notre vécu, dans notre radio et télévision en dehors de quelques tranches isolées. Cela n’est pas normal dans un pays composé à 95% de musulmans. Vous ne pouvez pas gérer 95% de musulmans et ignorer leur foi. Ce n’est pas une bonne chose. Nous pensons qu’il faut réhabiliter le mois de carême. Dans le temps, c’était un mois sacré. Aujourd’hui cette sacralité s’effrite. Si vous sortez les samedi soirs, vous avez l’impression qu’on n’est pas dans un mois sacré. Les boîtes de nuit son bondées de monde, des choses insoutenables qui se font.
Nous n’avons pas l’intention d’appeler les autorités à entamer la liberté des uns et des autres, même si l’Etat est laïc. Seulement, nous attirons l’attention que nous constituons la grande majorité et qu’en conséquence on a droit au respect.
Le Pouce : Qu’attendez-vous concrètement des autorités ?
Mahmoud Dicko : Nous voulons que le gouvernement s’implique pour donner à ce mois, toute sa noblesse et sa sacralité d’antan. On a toute l’impression qu’on n’est pas dans le mois de carême et que ça se fait sciemment. Beaucoup de ces tenanciers ne sont pas de nationalité malienne. Ils n’ont pas de respect pour le mois et ont pourtant l’autorisation de nos responsables. Ils ouvrent leurs bars comme ils veulent. Personne ne veut faire autre chose. Nous avons demandé aux musulmans de se conformer à la loi.
En tant que porte-parole des musulmans, nous lançons un appel à nos autorités de tout mettre en œuvre pour revoir cette situation en redonnant un tout petit peu à ce mois, sa sacralité.
Entretien réalisé par
Tiémoko TRAORÉ