Enlèvement de personnes, explosion de mines, attaques à mains armées, assassinats et accrochages entre irrédentistes et forces régulières, défiance du pouvoir central… Bref, chaque régime du pays et même sous la colonisation a connu sa rébellion des Touaregs et chacun l’a gérée à sa manière.
Ils ont été appelés différemment par les régimes qui se sont succédé au Mali : « rebelles », « frères égarés », « bandits » et même « terroristes ». En effet, le Mali a connu deux rébellions de contestation des Touaregs dans le Nord du Mali, de 1964 à 2009.
De Modibo Kéita, à Amadou Toumani Touré en passant par Moussa Traoré et Alpha Oumar Konaré, la « révolte » des populations du Nord-Mali a été le défi majeur auquel le pays a été confronté avec souvent des cas aussi complexes que variés, des morts d’hommes.
L’épicentre de cette révolte a toujours été Kidal. Les rébellions que le Mali a connues étaient multiples et variées. On peut citer, entre autres : le refus de domination de l’administration coloniale, l’aggravation des conditions économiques et alimentaires des populations à l’intérieur des communautés.
Il faut dire que la révolte dans cette partie du Mali a commencé dès la colonisation entre 1923 et 1954 avec la révolte d’Alla Ag Albacher « qui n’a jamais accepté la domination de l’administration coloniale ». La suite est connue : il a été abattu. En 1963-1964, une première rébellion est déclenchée, qui n’était qu’une manifestation d’un état d’esprit des populations blanches hostiles à toute tentative de bouleverser les rapports sociaux qui les favorisaient. Elle a été matée par le régime de Modibo Kéita.
L’armée malienne a mobilisé les mieux formés de ses soldats et de ses officiers pour faire face à ces mouvements armés. « Les militaires qui ont défait la rébellion des années 60 étaient essentiellement des jeunes officiers et sous-officiers, patriotes ayant une culture politique anti-coloniale et souvent mal notés par le pouvoir colonial et symbolisés par le capitaine Diby Silas Diarra », affirme Dialla Konaté, dans un document. Ce sont eux en particulier, a-t-il ajouté, qui arrêtèrent le chef rebelle touareg Alladi Ag Alla « qui se retrouva prisonnier à la Prison centrale de Bamako ».
Maintenu après l’indépendance sous administration militaire à cause de l’éclatement entre 1963 et 1964 de la première rébellion touareg, le statut de zone militaire va handicaper très profondément cette zone qui a abrité, selon ses notables, cité par Dialla Kanouté, une nombreuse jeunesse analphabète, sans qualification professionnelle et désœuvrée par le chômage élevé qui la frappe.
Ajoutée au dénuement total qui règne dans la région et l’absence de perspectives, cette réalité va conduire en 1990 à la seconde révolte plus large comprenant, cette fois-ci, outre des ressortissants de la région, les Touaregs et les Arabes des deux autres régions du Nord, c’est-à-dire, Gao et Tombouctou.
La violence, à en croire Dialla, s’est trouvée compliquée par le fait que les jeunes qui avaient été formés à la lutte armée en Libye, des jeunes qui se sont battus au Liban, au Sahara occidental et sur d’autres champs de bataille au Moyen-Orient, en Afghanistan, sont revenus au pays. « Ils ont dans un premier temps, contesté le pouvoir des chefs traditionnels dont beaucoup avaient été à leurs yeux, achetés par le pouvoir politique de Bamako. Dans un second temps, certains rassemblent de vagues idées politiques enveloppées dans une phraséologie douteuse mi-raciale, mi-religieuse, mi-indépendantiste ».
Ensuite, ces jeunes ont acquis des armes. « Ils ont mobilisé la jeunesse sans espoir et désœuvrée pour l’amener dans les montagnes du Sahara. Ainsi s’ouvrit une nouvelle phase de violence politique et sociale au Nord-Mali qui ont fait des centaines de morts ».
Le chef de l’Etat Moussa Traoré, qui avait refusé à un moment donné l’appellation « rebelles » au profit de frères égarés, sort la grande artillerie après avoir essuyé des victimes du côté de l’armée et des populations civiles. C’est ainsi que la Grande muette s’est engagée dans la poursuite des rebelles, dans tout l’Adrar.
Des réactions musclées de l’armée et de certaines communautés (Gandha Koy) contre les rebelles se multiplièrent. Plusieurs d’entre eux ont été tués et capturés. Affaiblis, les rebelles obtempèrent malgré eux-mêmes. Sous la houlette de l’Algérie, des pourparlers de paix entre les factions rivales aboutirent à la signature d’un pacte de paix en 1991.
Alpha Oumar Konaré, 1er président démocratiquement élu, a passé son mandat à la consolidation des acquis du Pacte national en entretenant les rebelles. Dans les années 2006, des attaques contre les militaires et populations se multiplièrent avec souvent des mines antipersonnel. Bahanga et Fagaga en sont les commanditaires. Une nouvelle revendication est formulée : la création d’une République des Touaregs. ATT, sans céder aux exigences des « terroristes », multiplie les rencontres et parvient à la signature d’un accord avec la branche dirigée par Fagaga.
Amadou Sidibé
ACCORDS DE TAMANRASSET
Texte des accords de paix
Les 5 et 6 janvier 1991 s’est tenue, à Tamanrasset, en République algérienne démocratique et populaire une rencontre entre une délégation officielle de la République du Mali et une délégation commune du Mouvement populaire de l’Azaouad et du Front islamique arabe de l’Azaouad.
Cette réunion de famille, qui fait suite à plusieurs contacts informels par l’entremise des autorités algériennes, avait pour objectif la restauration de la paix et de la sécurité dans les 6e et 7e régions du Mali pour le raffermissement de l’unité et de la solidarité de toutes les composantes de la nation malienne.
La rencontre, qui s’est déroulée dans une atmosphère de fraternelle compréhension, a permis de procéder à la signature d’un accord relatif au cessez-le-feu et aux mesures pratiques d’un règlement définitif de tous les problèmes posés suite aux douloureux événements survenus dans lesdites régions.
Les résultats concrets de cette rencontre ont démontré la volonté et la capacité de la nation malienne à surmonter tous les obstacles à la paix, facteur indispensable à la réalisation des objectifs de développement, de progrès et de bien-être pour les populations. Les participants ont réaffirmé leur profond attachement à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale de leur pays.
Les parties se sont félicitées de la contribution de qualité du gouvernement algérien pour les efforts qui ont permis d’assurer le succès de cette rencontre et lui ont adressé à cette occasion leurs plus vifs remerciements et l’expression de leur profonde gratitude.
Fait à Tamanrasset le 6 janvier 1991
DE TAMANARASSET A BAMAKO
Les dures négociations de paix
Dans la nuit du 28 juin 1990, le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA), créé en 1988 par Iyad Ag Ghali, déclenche des attaques sur les localités de Ménaka et de Tidermène (région de Gao). Ce fut la résurgence de la rébellion au nord du Mali et de longues et dures négociations pour aboutir à une paix.
De Tamanrasset (Algérie) à Bamako où sera signé le Pacte national qui mettait fin aux hostilités entre les forces gouvernementales maliennes et consacrait la dissolution du Mouvement et fronts unifiés de l’Azawad (Mfua), les négociations pour obtenir la fin de la rébellion au nord du Mali seront dures et difficiles. Non seulement à cause des susceptibilités des uns, mais aussi des ambitions des autres, notamment des décideurs des mouvements.
Le choc des susceptibilités, les ambitions personnelles et les programmes divergents voient les mouvements se multiplier ou se subdiviser au gré des intérêts. Ainsi, le MPLA se scinda en deux : le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA) de Iyad Ag Ghali et le Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA) avec comme chef Zahabi Ould Sidi Mohammed et rassemblant surtout des Arabes.
Le MPA lui aussi finira par se scinder et verra naître le Front populaire pour la libération de l’Azawad (FPLA) avec Rhissa Ag Sidi Mohammed et l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawed (Arla) sous la direction d’Abderrhamane Mohammed Galla.
Après les attaques de Ménaka et Tidermène, le 28 juin 1990, le régime chancelant de Moussa Traoré entame des négociations. Ainsi, un sommet est organisé à Djanet (Algérie) en septembre 1990, à l’initiative de l’Algérie. Il rassemble les présidents malien, nigérien, algérien et le Guide de la révolution libyenne, le colonel Kadhafi.
Moussa Traoré, le président du Mali, voyait derrière les actes de rébellion des interventions étrangères, notamment algériennes ainsi que la main du colonel Kadhafi. Ce dernier, disait-on, rêvait d’une République islamique du Sahara. Le sommet de Djanet aboutit à une rencontre à Tamanarasset, toujours en Algérie. Connue sous le vocal diplomatique de Tamanrasset I, cette rencontre fut un total échec.
Au cours des négociations, les mouvements restent campés sur une volonté de cession du territoire, alors que le gouvernement malien réaffirmait l’indivisibilité du pays. Le régime de Moussa Traoré, confronté à une situation socio-économique et politique dure avec les multiples manifestations et revendications des différentes associations et syndicats, préférera amorcer de nouvelles négociations.
Le 6 janvier 1991, un accord visant à instaurer la paix et la sécurité dans les régions du Nord du Mali est signé à Tamanrasset (Algérie) entre une délégation du gouvernement malien et les représentants des différents mouvements touaregs. Cet accord prévoyait, entre autres, la démilitarisation des régions de Kidal, Gao et Tombouctou et la mise sur pied d’une commission de suivi.
Mais en mars 1991, arrive le renversement du régime de Moussa Traoré. La Transition instaurée, le CTSP va poursuivre les négociations. Surviennent dans ce contexte les accords de Tamanaresset II. Ces accords instaurent un cessez-le-feu entre le Mfua et le gouvernement malien. Ils seront respectés tant bien que mal de part et d’autre.
Des contacts furent pris avec les autorités de la France et Bamako décida d’impliquer Alger dans la recherche d’une solution définitive. Dès lors, on ne parlera plus de bandits armés, mais de mouvements rebelles. Le 10 décembre 1991 le MPA, le FPLA, l’Arla et le FIAA tiennent une réunion d’unification à Ghardaia (Algérie) à l’issue de laquelle ils créent un mouvement appellé « Mouvement des Fronts Unifiés de l’Azawad » (Mfua). Avec un seul mouvement, les négociations s’avèrent moins difficiles.
Les nouvelles autorités, le CTSP en l’occurrence, instaurent une atmosphère de discussion et de concertation sur tous les grands problèmes nationaux (Etats généraux). Ainsi, durant la Conférence nationale (31 juillet au 15 août 1991), sous la présidence du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, et à laquelle les représentants des Touaregs ont participé, le problème du Nord a été abondamment évoqué.
De nombreuses autres réunions ont eu lieu au cours de la même année tendant toutes à la réinsertion harmonieuse des Touaregs dans la société malienne. Il s’agit particulièrement de la réunion technique préparatoire de Ségou du 25 au 27 novembre, la conférence de Mopti du 6 décembre 1991. Toutes ces concertations ont pu aboutir à des sessions de négociation qui ont débouché sur la signature d’un Pacte national le 11 avril 1992. Au cours de la signature de ce Pacte, les Mfua annoncent leur auto dissolution. Le Pacte national constituait désormais l’accord-cadre de règlement des problèmes du Nord.
Hélas !
Denis Koné
MICRO-TROTTOIR
Des citoyens se prononcent
La rébellion au nord a toujours constitué, de 1991 à nos jours, un grand problème aux différents régimes. Dans le micro trottoir ci-dessous, des Bamakois se rappellent de la gestion laborieuse de ce problème par les différents présidents.
Madou Sylla (enseignant) :
» Je pense que chaque régime a tenté à sa façon de gérer cette rébellion. En avril 1992, la Transition a calmé les esprits avec l’adoption d’un document intitulé Pacte national. Malgré cela, les hostilités ont continué au temps d’Alpha. Il est important de rappeler que le régime Konaré a tout fait pour consolider les acquis du Pacte national. C’est ce qui a permis l’intégration massive dans l’armée nationale et dans la fonction publique de Touaregs et Arabes ».
Kadiatou Sissoko (vendeuse) :
» Les différents régimes, de 1991 à nos jours, ont toujours caressé la rébellion dans le sens du poil. Mais c’est quelque chose qu’on doit combattre avec rigueur comme on l’a fait la fois dernière. C’est quand les bandits qui se réclament des rebelles ont été matés que le front s’est calmé ».
Oumar Diarra (banquier) :
» La rébellion a pris une nouvelle tournure en 2006. Cette rébellion n’a plus de crédibilité. C’est ce qui fait qu’une grande partie de la communauté arabe n’a pas accepté de s’en mêler ».
Sidi Dembélé (administrateur civil) :
» Que ce soit Alpha ou ATT, la gestion des dossiers de la rébellion a toujours constitué un grave problème. Alpha a pu calmer la tension avec l’organisation de la Flamme de la paix à Tombouctou, le 27 mars 1996. On peut dire qu’ATT a gagné la confiance de la communauté internationale pour la gestion pacifique du problème. Les différents pouvoirs ont toujours eu de solutions à cette rébellion même si ces solutions paraissent toujours temporaires ».
Propos recueillis par
Sidiki Doumbia
» Les différents régimes, de 1991 à nos jours, ont toujours caressé la rébellion dans le sens du poil. Mais c’est quelque chose qu’on doit combattre avec rigueur comme on l’a fait la fois dernière. C’est quand les bandits qui se réclament des rebelles ont été matés que le front s’est calmé ».
» La rébellion a pris une nouvelle tournure en 2006. Cette rébellion n’a plus de crédibilité. C’est ce qui fait qu’une grande partie de la communauté arabe n’a pas accepté de s’en mêler ».
» Que ce soit Alpha ou ATT, la gestion des dossiers de la rébellion a toujours constitué un grave problème. Alpha a pu calmer la tension avec l’organisation de la Flamme de la paix à Tombouctou, le 27 mars 1996. On peut dire qu’ATT a gagné la confiance de la communauté internationale pour la gestion pacifique du problème. Les différents pouvoirs ont toujours eu de solutions à cette rébellion même si ces solutions paraissent toujours temporaires ».
Propos recueillis par
Sidiki Doumbia