Si gouverner c’est prévoir et anticiper, les Maliens ont réellement des soucis à se faire. En effet, ce sont deux notions qui ont visiblement échappé à ceux qui ont présentement leur destinée en main. La preuve flagrante est la construction d’un monument dit du « Cinquantenaire » sur le fleuve Niger. Un cours d’eau dont les jours sont comptés sans une réelle volonté politique et des actions citoyennes allant dans le sens du changement radical des comportements.
L’un des projets dont se vante le plus la Commission nationale de la célébration du cinquantenaire du Mali porte sur la construction d’un monument sur le fleuve Niger. Il s’intègre parmi les grands chantiers en cours de réalisation pour marquer à jamais cette date historique. Le « Monument du Cinquantenaire » sera un édifice de 100 mètres érigé dans le prolongement symbolique de l’Avenue de l’Indépendance jusqu’au fleuve.
La société civile malienne désapprouve naturellement cet aménagement sur plusieurs hectares presque dans le lit du Djoliba. Confiés à une entreprise chinoise, les travaux sont évalués à environ 3,1 milliards de F FCFA à la sueur du contribuable. Comment des dirigeants responsables peuvent-ils accepter investir autant d’argent dans un projet qui ne peut qu’hypothéquer le bien-être des générations futures ?
La célébration des 50 ans passés doit-elle conduire à sacrifier la vie future d’une nation ? Ce n’est pourtant pas surprenant de la part d’un Etat dont le laxisme a favorisé la construction des immeubles et des hôtels polluants tout au long des berges de cette source vitale pour la capitale et le pays.
En tout cas, depuis le début des travaux, des voix ne cessent de s’élever ici et là pour condamner la construction d’un monument à ce niveau. De nombreux observateurs jugent préjudiciable la présence d’un monument dans le lit d’un fleuve qui se débat déjà contre l’ensablement et d’autres menaces écologiques comme la pollution liée aux activités des populations riveraines.
Une initiative largement condamnée
« Ce site a été choisi non seulement pour sa position stratégique, mais aussi par un manque d’espace au centre-ville. Trouver un site a donc été la croix et la bannière. Mais, en accord avec l’Autorité du bassin du Niger (ABN), nous avons choisi le présent site. Ce monument s’incruste parfaitement dans le plan d’aménagement des rives du fleuve Niger au niveau de la capitale. Nous allons aménager environ 32 kilomètres sur les deux rives du fleuve Niger pour la fluidité de la circulation », s’est défendu le président de la commission dans sa tentative d’étouffer la polémique au cours d’une récente conférence de presse.
« Le Monument du Cinquantenaire est un symbole culturel fort, porteur d’un message intemporel. C’est une représentation du passage de témoin entre les générations. C’est un mariage de la modernité et de la tradition, tourné vers le développement et l’avenir », avait-il tenté de convaincre.
Il faut davantage pour nous convaincre sur la pertinence de construire un monument à cette place. Nous réfutons surtout la thèse du manque de place au centre ville qui regorge pourtant d’édifices publics et privés. L’Etat est souverain pour exproprier tout propriétaire foncier en raison des travaux d’utilité publique. Et nous pensons que la construction du Monument de l’Indépendance l’est. Sans compter qu’il est difficile de comprendre que la commission n’ait trouvé nulle part, à Bamako, l’espace nécessaire alors qu’il y a toujours des espaces vides au niveau des Zones ACI par exemple.
Selon la petite enquête que nous avons menée, sept Bamakois sur dix condamnent ce projet ou affirment ne pas comprendre sa pertinence à cet endroit. « Au moment où la société civile mobilise les partenaires et la communauté internationale au chevet du fleuve Niger menacé de disparition, l’Etat aurait pu faire économie de ce scandale environnemental. Il avait déjà fait preuve d’irresponsabilité et de laxisme en fermant les yeux sur la construction des hôtels et des immeubles sur les berges de ce cours d’eau vital pour Bamako et le Mali voire pour toute notre sous-région », dénonce le responsable d’une ONG écologiste.
Une immense catastrophe écologique en cours
C’est à croire que nos dirigeants n’ont vu des œuvres comme « Le Nil des Noirs en Périls » de Jean-Marc du magazine français, « Paris Match ». A travers un édifiant reportage photo, ce confrère met en évidence le péril qui pèse sur le fleuve Niger, notamment entre Tombouctou et Gao. Il s’agit d’images qui reflètent mieux l’ampleur de la catastrophe écologique et humanitaire qui menace ce cours d’eau et dont les autorités maliennes ne se soucient guère !
S’il est pollué à Bamako, c’est dans la légendaire « boucle » du Niger, que le fleuve est le plus agressé par l’ensablement, les boues… En pleine saison sèche, par exemple, il est à peine navigable et se retire très loin des villages, contraignant les habitants à de harassants allers et retours pour se procurer de l’eau.
Avec la désertification, les marigots et les lacs ont presque tous disparu faisant de ce grand fleuve désormais la seule ressource régionale d’approvisionnement en eau.
De l’avis du confrère, de troupeaux et de gens vivent dans sa vallée, accélérant sa disparition progressive. Ce qui fait qu’aujourd’hui, certains lacs ont disparu et d’autres, comme le lac Débo, ne tarderont pas à connaître le même sort. Une situation qui devait conduire le gouvernement à initier des actions vigoureuses de préservation au lieu de contribuer à la dégradation de cette source à laquelle dépend la vie des millions de Maliens et des générations futures.
Le salut dans le changement des comportements
Selon de nombreux spécialistes seuls un changement radical de comportement des riverains et de nouveaux arbres pourront éviter le désastre. Et faute de « fixer » ses berges, le Niger, risque de périr. Le « Nil des Noirs », cher à Ptolémée, est plus que jamais à l’agonie. Le réchauffement de la planète, l’avancée du ¬désert, la diminution des pluies, l’érosion accélérée, la multiplication des dunes, plus la déforestation, l’occupation anarchique de ses berges et la pollution sont en train d’avoir raison du « Djoliba ».
Et selon de nombreuses sources, en trente ans, le débit du Niger s’est tari de moitié. Ainsi, les géographes évoquent sa probable disparition dans quelques années si rien n’est entrepris. Au total, 120 millions de personnes (200 millions en 2020) sont en danger si rien n’est fait. D’où la mobilisation internationale au chevet de cette sève nourricière des riverains.
Curieusement, les autorités maliennes n’ont toujours pas conscience de l’ampleur de la menace puisqu’ils brillent par leur laxisme par rapport à la réalisation des projets qui ne peuvent que condamner davantage le fleuve Niger.
Synergie d’action contre le laxisme de l’Etat
C’est pourquoi, comme le souhaitent les organisations de la société civile, « nous devons nous lever contre ce projet au risque de voir notre droit à l’eau sérieusement compromis ». C’est un devoir citoyen et humanitaire au nom des générations futures. C’est le moment d’aller vers une synergie des actions pour empêcher non seulement la construction de ce monument, mais aussi d’autres projets qui ne manqueront pas de voir le jour dans son lit ou sur ses berges.
En effet, comme la société civile malienne, nous sommes convaincus que l’érection du Monument du Cinquantenaire n’est que l’amorce d’un projet de re-profilage du fleuve visant à la transformation du fleuve en canal dans la ville de Bamako par la construction du mur, le remblaie et la vente des parcelles ainsi créées. Ce pays appartient à nous tous et personne n’a le droit de sacrifier des générations pour la célébration d’une indépendance qui tarde à se concrétiser sur les plans socioéconomiques et politique à cause de tels errements de nos dirigeants.
Alphaly