J’étais vraiment cassé la veille de la Tabaski. J’ai bossé toute la journée et franchement, je n’avais qu’une seule envie : me coucher tôt d’autant plus qu’il fallait être à la mosquée le lendemain à 8 h 15. Cela dit, ma conscience me grondait « petit, t’es pas bien dê ! Si ç’était Tracy Chapman, Michael Bolton, Francis Cabrel ou Mariah Carey, tu serais allé à ce concert, ou bien ? ». Pourtant, Oumou Sangaré relève sérieusement du même calibre mais on est comme ça au Mali. Nous ne savons reconnaître et apprécier nos personnalités qu’une fois dans la tombe, kabako moi-même !
Ma conscience remporte la victoire sur ma paresse. Aussi la disparition des chanteuses Coumba Sidibé, Ramata Diakité et l’Ethiopienne Manalemosh Dibo (disparue le 22 novembre dernier et qui avait conquis le cœur des Maliens) me fait-il croire davantage que nul n’est éternel. Ce n’est pas tous les jours qu’Oumou Sangaré donne un concert.
Enfin, je sors de chez moi et j’arrive pile à l’heure. A Blonba, je mesure l’ampleur du phénomène Oumou Sangaré. Le ticket d’entrée est fixé à 20 000 F CFA. La star remplit la salle bien avant l’heure de son show. En vraie diva, elle se fait attendre. Je commence à craindre. C’est un peu le désordre. Certains se plaignent d’avoir payé 20 000 F CFA et d’être restés debout. D’autres qui sont allés aux toilettes se battent pour récupérer leur place. Hey, bi ta tè dia ! Mais vous connaissez l’adage. Qui part à la chasse, perd…
Il a suffi que les lumières se tamisent, que l’on entende les premiers mots du MC pour que la sérénité regagne le public. C’est une diva, elle ne sort pas tout de suite. Présentation du programme et c’est la jeune Fatoumata Diawara, chanteuse, danseuse et actrice (interprète de Sia Yatabaré) qui chauffe la salle.
Elle annonce la couleur avec un morceau dédicacé à sa « Ne Ba ». Enfin, la diva monte sur scène, gracieuse et élégante. Elle s’adresse à son public en langue nationale et en français. Le discours est très articulé et confiant. Désolé de remettre cela sur la table mais je ne peux m’empêcher de penser à Oumou à ses débuts et de « sciencer » sur tout le long chemin qu’elle a parcouru. Que de réussite et d’apprentissage !
Nous sommes tous là pour lui rendre hommage, mais aussi pour nous abreuver de sa voix suave. Tout le Wassoulou est présent pour accompagner leur « Ba Oumou », « Minata den » : Yoro Diakité et sa femme, Nabintou Diakité mais aussi la star des stars Kandia Kouyaté, les ultras dynamiques Paye Camara, Fantani Touré et bien entendu, le virtuose Cheick Tidiane Seck.
Leur présence est une grande preuve d’amour, d’entente entre vedettes mais aussi de reconnaissance envers celle qui porte la musique malienne avec humilité, passion et professionnalisme. Ils se relayent pendant qu’Oumou reposait sa voix ou se changeait : en bazin, en longue robe à bretelle, talon aiguille. De temps en temps, ses stylistes, Soumaïla ou Salama montent sur scène pour lui fixer une partie de la tenue. « She is a diva ! » Une femme à la fois traditionnelle et moderne, totalement décomplexée.
Une grande charmeuse et ça prend. Elle s’exprime dans toutes les langues, même en anglais quand elle s’adresse à son staff technique « Arnauld give me sound, more sound ! ». C’est décidé, elle va nous crever le tympan ce soir de sa puissance vocale. Elle nous prouve qu’elle est une pro de la scène. Les instruments (sono, ampli, guitare base et solo, clavier…) sont impressionnants, la lumière n’en parlons pas, « just perfect ».
Je fais mon malin en anglais aussi. A son actif, 62 dates avant d’achever sa tournée au Mali. Partout où elle est passée, Oumou a mis en avant notre culture. Ses danseurs et danseuses habillés en tenues traditionnelles se déhanchant. Elle nous a transportés avec le son de sa musique et nous a soûlé allégrement avec l’odeur de l’encens durant l’interprétation d’une chanson en sonrai.
Ce que j’ai le plus apprécié chez Oumou Sangaré, au-delà du spectacle, des paillettes, c’est la portée de ses propos. Je vous rappelle qu’elle est auteur et compositeur. C’est avec passion qu’elle raconte l’histoire de chaque chanson. Pourquoi elle l’a écrite, comment souhaiterait-elle que le public s’en approprie. Et quand elle se met à chanter, alors nous découvrons une vraie pasionaria des valeurs humaines de paix, d’amour, d’entente, de justice sociale surtout envers les femmes.
» Wassoulou Kono », l’oiseau chantant du Wassoulou est plus que musicienne. Elle prêche son engagement envers la femme malienne : celle qui devrait avoir une voix et une place à côté de l’homme, de son mari. Mon seul regret à ce moment précis, il aurait fallu des leaders d’opinion comme la sienne pour défendre le code de la famille. Ceci est un autre débat, un vieux débat, un débat enterré aujourd’hui au Mali. Pourquoi réveiller les morts ? Pourquoi parler des choses qui fâchent ? C’est plus fort que moi.
Bref, Oumou Sangaré a repris la quasi-totalité des morceaux de son nouvel album presque à la perfection. On aurait fermé les yeux et on aurait cru entendre sa voix sur le CD. Je vous rassure. Ce n’était pas du play-back. Le public s’est lâché sur « Seya » et la balade romantique « Sekele Te Sira » a conquis tous les cœurs.
Ce soir du 27 novembre, j’ai découvert une artiste authentique avec un grand cœur, très généreuse artistiquement et humainement. Elle n’a pas hésité à rendre hommage à ses musiciens et danseurs. Elle les a présentés un à un. En vrai pro, ils ont tous fait un solo. Oumou, merci d’avoir clos cette tournée au Mali et continué à nous faire rêver avec de nouvelles sonorités mêlant musique tradi et pop tout en restant attachée à tes combats pour une société plus épanouie.
Chers lecteurs, je vous retrouve le mois prochain pour une nouvelle chronique, s’il plait à Dieu. En avance, je vous souhaite une bonne et heureuse année 2010. Je remercie Les Echos et Alexis Kalambry, en particulier, de m’avoir donné l’opportunité une fois par mois de partager mes idées mais aussi mes sensibilités avec les fidèles lecteurs de Les Echos.
Birama Konaré