L’insalubrité crève l’oeil dans la plupart de ces toilettes de la capitale
L’assainissement du milieu de vie, le respect scrupuleux des règles d’hygiène garantissent la santé et le bien être de l’homme. Les ouvrages individuels d’assainissement
sont indispensables dans les ménages comme sur les espaces accueillant le grand public. Les marchés, les gares routières doivent receler toutes les commodités d’hygiène. Ces infrastructures publiques sont placées sous l’autorité de la Mairie du district. La gestion des ouvrages d’assainissement est confiée à des sociétés privées ou Groupements d’intérêt économiques (G.I.E), dans le cadre d’un contrat commercial les liant à la mairie.
Nous sommes à Sogoniko en commune VI. Ce quartier abrite la plus importante gare routière de la capitale. Chaque jour, des milliers de personnes y séjournent temporairement, en partance ou en provenance de l’intérieur du Mali et de l’étranger. L’autogare de Sogoniko est tapissée de magasins, de stations services, d’étals. Les centaines de vendeurs ambulants tournent autour des véhicules et des voyageurs. La foule immense doit satisfaire à des besoins naturels. La gare de Sogoniko est donc équipée de cinq blocs de toilettes.
Nous avons visité en premier lieu les installations hygiéniques gérées par la société Yattassaye. Ces toilettes sont situées dans la zone affectée à cette société. A l’instar des autres blocs de toilettes parsemant la gare, les mesures d’hygiène sont quasiment absentes dans ces ouvrages d’assainissement. Une mare de boue rend l’accès des lieux laborieux pour les usagers. Après avoir effectué une large inspection des locaux pleins d’immondices, notre équipe croise enfin Boubacar Kané, le surveillant des ouvrages au compte de la société Yattassaye. La vingtaine d’année révolue, une silhouette mince, il se tient débout devant l’entrées et veille au grain. Il porte une escarcelle en bandoulière dans laquelle il jette les pièces d’argent perçus sur les clients.
Le jeune Kané nous fait l’inventaire des installations placées sous sa garde. dit-elle « Voici les toilettes. Il y a quatre douches, trois W.C et deux urinoirs », détaille le jeune Kané visiblement ravi de nous expliquer son travail. Le mouvement des nombreux usagers est incessant. Et Kané continuait à nous parler tout en encaissant son dû. L’usager débourse 100 FCFA pour se laver et 25 FCFA pour entrer dans le W.C et l’urinoir. Le gérant doit verser chaque jour la somme de 25 000f CFA à la société Yattassaye. D’après l’affluence que nous constatons ce montant ne devrait être difficile à acquitter. La mine épanouie de Kané prouve qu’il gagne bien sa vie avec les recettes tirées des cabines hygiéniques.
Mais, quel investissement fait-il pour entretenir ces lieux? Notre interlocuteur reste perplexe. Car l’insalubrité des locaux crève l’oeil et la mauvaise odeur incommode les narines sur près de dix mètres autour. « Je lave les lieux plusieurs fois dans la journée », assure Boubacar Kané. Il ne songe pas à se faire aider par un manoeuvr malgré les bonnes recettes engendrées. Boubacar Kané ne dispose d’aucun matériel adapté à l’entretien des toilettes. Il se contente de verser simplement quelques seaux d’eau sur le sol et dans les sanitaires. Point de Crésyl.
Le constat du laissez aller est tout aussi accablant à la gare routière de Djicoroni- para, communement appelée « la place de Guinée ». Cette immense cour regroupe des dizaines de kiosques, gargotes, boutiques. La population de voyageurs et de marchands ambulants importante. Les mêmes problèmes d’hygiène existent ici aussi. Ce grand espace est doté de deux blocs de toilettes. Le premier est tenu par Mohamed Traoré. Il a 19 ans. Les quatre salles de bains et les quatre W.C qu’il gère sont propres, lance-t-il avec un large sourire, tout en nous refusant l’accès aux lieux. Prétextant que des clients occupent les lieux. Feignant d’entrer dans son jeu nous n’insistons. Mais la puanteur alentour prouve à tous ceux qui approchent de l’endroit que les recettes servent à tout sauf à assurer le confort des usagers.
D’ailleurs l’affirmation de propreté des locaux est battue en brèche par certains clients. Mohamed Touré, locataire de la gare et usager des toilettes est très remonté contre l’état des toilettes. Il regrette l’état délabré des lieux et l’absence de toute commodité. Il stigmatise surtout l’absence d’éclairage. « Nous n’avons pas le choix. Sinon, personne n’utiliserait ces toilettes souillées. », déclare-t-il. Ceux qui ont leurs familles proches de la gare préfèrent s’y rendre pour satisfaire leurs besoins naturels, ajoute notre interlocuteur. « Nous avons peur pour notre santé. Ces toilettes reçoivent des personnes de tous les bords, y compris des étrangers. Les cabines ne sont entretenues de façon régulière et adéquate. Les risques d’attraper une maladie en utilisant ces toilettes sont patents », s’alarme un autre usager.
Le gérant des toilettes de la Place de Guinée, l’insouciant Mohamed Traoré balaie toutes ces accusations d’un revers de la main. « Ceux qui dénoncent l’état délabré des installations sont des malveillants », réagit-il. Il affirme que toutes les toilettes sont régulièrement nettoyées avec de l’eau et de la poudre de savon. Mais pas de Crésyl. Il est visiblement sous équipé pour assurer une bonne hygiène des lieux. « Mon seul problème aujourd’hui est le manque de matériel, avoue le gérant ». Nous n’avons pas pu rencontrer le véritable propriétaire des toilettes qui perçoit hebdomadairement la somme de 2000 FCFA, selon Mohamed Traoré. Ce dernier gagne un salaire mensuel qui lui permet de subvenir à ses besoins. Il est satisfait de son emploi. « Je trouve ce travail beaucoup plus rentable, se rejouit-il, que de faire le manoeuvre »
De l’autre côté de la gare de Guinée, les installations de Mohamed Traoré sont fortement concurrencées par Alassane Guindo, employé de la société Kagnassy. Ce gérant du second bloc de toilettes de la gare a huit ans d’expérience dans le domaine. Les toilettes sont construites dans le respect des normes prescrites pour la réalisation d’un ouvrage d’assainissement. Il y a une fosse septique de 5 mètres carrés sur laquelle sont bâtis une dizaine de W.C et 3 salles de bain.
Il tient à marquer sa différence. Il emploie un manoeuvre qui nettoie chaque heure les lieux. Cet adjoint est doté de tout le matériel qu’il faut, assure Alassane Guindo. Ensuite, il est procédé chaque jour à la désinfection des toilettes avant leur fermeture au public. « Je travaille jusqu’à 22 heures, car mes toilettes sont l’une des rares qui sont éclairées », explique fièrement Alassane Guindo.
Les retombées sont immédiates. Les toilettes de cet endroit de la gare sont les plus fréquentées par les usagers qui apprécient la propreté des cabines. Mais Alassane Guindo pratique le tarif unique. La recette journalière varie entre 17 500 FCFA et 20 000 FCFA. Cette réussite financière atteste le professionnalisme de la gestion des toilettes publiques par la société Kagnassy qui possède pas moins d’une quinzaine d’installations dans la capitale.
Ce succès particulier contraste avec la dégradation de l’hygiène dans la plupart des toilettes publiques de Bamako. Le comble du manque de propreté des toilettes publiques est atteint au marché de Médina-coura. Les cabines sont placées au coeur du marché à côté de la mosquée principale du même marché. L’état des lieux est alarmant. L’exiguïté, la faible aération du bâtiment, le manque d’entretien conjuguées à la grande affluence maintiennent une atmosphère suffocante. Le bâtiment composé de 5 W.C et 10 douches est occupé à tout moment.
Le sol est constamment trempé d’eau usée et nauséabonde . L’insalubrité est très aiguë dans cet endroit. En dépit de cette triste réalité, Mamadou Diaby, le gérant des toilettes du marché de Médine se défend. Il affirme que les toilettes sont nettoyées toutes les deux heures. Il reconnaît néanmoins le manque de matériel de nettoyage. « Je travaille de l’eau et de la poudre de savon », indique-t-il. Malgré tout il fait une bonne recette. Les gains se chiffrent en moyenne à 25.000 FCFA par jour. Ce succès est dû au prix modique de 50 Fcfa appliqué pour l’usage des W.C et le service des douches.
Les autorités municipales du district nient toute responsabilité dans l’insalubrité de ces toilettes publiques insalubres. Le gérant de la gare routière de Sogoniko, Bréhima Djiré affirme que l’hygiène dans les toilettes ne relève pas du ressort de la mairie. « Cette mission relève du Services national chargé de l’hygiène », indique-t-il. Le manque d’hygiène dans les lieux publics est un problème récurrent partout au Mali souligne, Bréhima Djiré. Il rappelle qu’il faut de la rigueur et du suivi de la part des autorités compétentes pour éradiquer le phénomène. Le laxisme et l’incivisme sont les facteurs déterminants du problème, poursuit notre interlocuteur.
Les conditions d’hygiène sont déplorables dans toutes les toilettes installées sur les espaces publics de Bamako. Devant cette situation, les usagers demeurent impuissants. La population bamakoise est en danger. Les membres de toutes les familles fréquentent les marchés ou les gares. Ils sont les usagers des installations hygiéniques souillées. Les toilettes publiques sont devenues hypothèque la santé publique dans notre capitale. La gestion des toilettes publiques exige un minimum de professionnalisme et l’implication de tous. L’embellissement en cours de Bamako doit aller de pair avec un vigoureux programme de constructions de toilettes publiques fonctionnelles et modernes.
C.A.DIA (L’ESSOR)