« En fait, c’est vrai que les listes ont toujours été au cœur des polémiques, au cœur des contestations électorales. Et c’est vrai, avec ce guide aujourd’hui qui permet d’élaborer des listes électorales fiables, certainement, cela permettra de résoudre un certain nombre de problèmes. […] Les listes biométriques présentent deux gros avantages : le premier, c’est de permettre l’identification sûre de chaque électeur et le second, c’est de garantir l’unicité physique de chaque électeur sur ces listes… »
« Pour faire des élections propres, il faut des listes fiables », c’est ce que dit l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui vient de publier un guide pratique pour la consolidation de l’état-civil et des listes électorales. Avec le Réseau des compétences électorales francophones (Recef), le général malien Siaka Sangaré est l’un des auteurs de ce guide pratique. En 2010, c’est lui qui a présidé la commission électorale de Guinée Conakry. L’officier malien est à Paris à l’occasion de la journée des réseaux francophones. Il est l’invité de RFI.
Rfi: Pourquoi un guide pratique pour consolider les états civils et les listes électorales. Est-ce parce que très souvent, le vaincu d’une élection dit que les listes étaient faussées ?
Général Siaka Sangaré : Oui en fait, c’est vrai que les listes électorales ont toujours été au cœur des polémiques, au cœur des contestations électorales. C’est vrai avec ce guide aujourd’hui qui permet d’élaborer des listes électorales fiables, certainement ça permettra de résoudre un certain nombre de problèmes.
Quel est l’avantage des listes biométriques ?
Les listes biométriques présentent de gros avantages. Le premier, c’est de permettre l’identification sûre de chaque électeur et le second est de garantir l’unicité physique de chaque électeur sur ces listes-là. Un électeur, une voix.
Comment est-on sûr qu’avec les listes biométriques, madame Coulibaly est bien madame Coulibaly ?
Les caractéristiques biométriques de madame Coulibaly sont uniques, notamment les empreintes digitales et également à partir de sa photo.
Et comment est-on sûr que madame Coulibaly ne vote pas trois fois dans trois bureaux différents ?
Les listes alphanumériques comportaient énormément de doublons. Un électeur pouvait être inscrit plusieurs fois sur la même liste ou plusieurs fois sur des listes différentes. Alors qu’avec le système biométrique, l’électeur n’est inscrit qu’une seule fois. Si vous n’êtes inscrit qu’une seule fois dans un bureau de vote, vous ne pouvez voter que dans ces bureaux de vote, où il y a votre photo sur la liste qui est affichée devant le bureau de vote, également votre photo sur la liste d’émargement que vous ne trouverez pas ailleurs. Donc ceci permet de garantir un seul vote pour madame Coulibaly.
Un état civil, ça coûte cher. Est-ce qu’un pays peut réussir de bonnes élections avec de bonnes listes sans avoir un bon état civil ?
Non. C’est vrai mais quand on fait un recensement biométrique, la première année, les résultats sont satisfaisants. Mais sans un état civil fiable, les qualités du fichier électoral se dégradent.
Pour la présidentielle de 2006 au Congo-Kinshasa, la communauté internationale a financé l’établissement de listes électorales mais pas celui d’un état civil. Ça coûtait trop cher. Est-ce que aujourd’hui on ne le paye pas ?
En fait, il n’y avait pas effectivement d’état civil. Mais il fallait peut-être parer au plus pressé en organisant quand même des élections pour avoir des institutions légitimes.
C’est-à-dire que le fichier électoral qui a servi pour 2006 a resservi pour 2011 alors qu’il aurait fallu faire entre temps un état civil ?
Oui justement. On aurait pu élaborer un état civil et, sur la base de cet état civil, actualiser le fichier électoral de 2006.
Vous voulez dire qu’a priori les résultats de 2011 sont moins fiables que ceux de 2006 ?
De la vue de certains observateurs. Je n’étais pas en RDC, j’ai appris que la qualité des élections de 2011 n’était pas à hauteur de souhait comme en 2006.
Vous avez été observateur dans de nombreuses élections, on pense par exemple à la présidentielle de 2010 au Togo. Il y avait un fichier biométrique et pourtant l’opposition a crié à la fraude ?
On ne peut pas prendre le seul exemple du Togo. Le fichier biométrique n’est pas une panacée. Au-delà des listes électorales, il y a les autres opérations notamment la centralisation et le traitement des résultats. Et cette phase du processus électoral est une étape très sensible. Et surtout quand la centralisation et le traitement des résultats prennent suffisamment de temps.
Un dépouillement qui prend plus de trois jours, c’est suspect ?
Oui, généralement c’est comme ça. Les acteurs, surtout la classe politique, estiment que ça donne l’occasion à des manipulations de chiffres ou des irrégularités.
En 2010 au Togo pour la centralisation des résultats, il était prévu un système de transmission sécurisée, mais le jour J, il est tombé en panne. Est-ce que c’est seulement la faute à pas de chance ?
J’avoue que j’étais chargé de l’observation sécuritaire du processus électoral. Donc je n’étais pas suffisamment impliqué dans les aspects techniques.
Toujours en 2010 à Conakry, vous le haut fonctionnaire malien, vous avez présidé la commission électorale chez votre voisin guinéen. Les résultats ont été contestés au premier comme au deuxième tour ? Quelle a été pour vous la principale difficulté ?
Le deuxième tour dont j’ai eu la charge a eu moins de problèmes que le premier tour et le dispositif que nous avons mis en place était quand même rassurant et donner une certaine garantie et neutralité d’impartialité, et surtout de sincérité des résultats.
Au second tour, le candidat Alpha Condé a fait un bond. Il est passé de 18 à 52% des voix et le vaincu, Cellou Dalein Diallo, a dit qu’il y avait eu beaucoup de fraudes. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je l’ai toujours dit: dans les élections en Afrique, il y a ce problème de déficit de confiance qui fait que le plus souvent, les résultats sont critiqués. Il va falloir effectivement développer et intensifier la culture de l’acceptation des résultats.
Pour rester en Guinée, vous dites que l’un des points-clé, c’est de savoir qui s’occupe d’actualiser le fichier électoral. Vous savez qu’en Guinée, il y a une polémique sur le fait que c’est un opérateur privé, le Sud-Africain Waymark qui a été choisi par le gouvernement. Est-ce qu’il faut mieux un opérateur privé ou un opérateur public ?
De toutes les façons dans tous les pays de l’Afrique francophone aujourd’hui, les capacités nationales ne permettent pas d’utiliser la technologie de pointe de la biométrie jusque là.
Dans l’affaire guinéenne, finalement le médiateur des Nations unies Saïd Djinnit a trouvé une formule de compromis : l’opérateur privé Waymark est supervisé par un collège d’observateurs. Pensez-vous que c’est la bonne formule ?
De façon générale, si aujourd’hui la mise en place d’un collège d’experts permet de restaurer la confiance dans le processus qui est une condition sine qua non pour l’acceptation des résultats, je n’y vois pas en fait d’inconvénients.