Quand l’Etat perd le Nord, U Dèsèra

La question du Nord est de plus en plus préoccupante. Les Maliens ne comprennent plus ce qui se passe et le fait nouveau est que c’est à haute voix qu’ils s’indignent de la gestion faite par nos autorités. Une gestion calamiteuse qui risque d’entraîner le pays tout entier dans un engrenage de violences aux conséquences insoupçonnées sur son unité. Ce qui fait dire aux plus sévères que le président de la République et son gouvernement ont échoué tant dans la lutte contre les rebelles que dans celle contre le banditisme. « U dèsèra ».

« La paix maintenant », telle est la pièce de théâtre que la région de Kidal a jouée lors de la dernière artistique et culturelle qui s’est déroulée à Kayes. Grâce certainement au contenu et à ceux qui en sont les auteurs et les acteurs, mais plus encore à cause du contexte, la pièce a été primée. On se rappelle les propos du président de la République lors de la clôture de biennale avouant son penchant pour la pièce de Kidal tout en s’excusant presque aussitôt après de ne pas vouloir influencer le jury. C’est donc cette pièce qui a été diffusée le dimanche dernier par l’ORTM. L’objectif ne trompe personne. Primo, il y a besoin de sensibiliser les Maliens sur les questions de paix. Secundo, et c’est semble-t-il le plus important, convaincre nos frères en armes d’écouter leurs enfants, leurs propres enfants, les appelant à la paix et à déposer les armes. En clair, là où les militaires ont échoué, on voudrait que le théâtre réussisse. Il est permis de rêver et même de croire au miracle, mais tout porte à croire que nous sommes en plein dans la logique de folklorisation d’un dossier plus que sensible. Car avant les jeunes de Kidal et leur pièce de théâtre, les Maliens ont assisté à des scènes et à des envolées qui auraient mérité d’être primées sur toutes les grandes scènes de théâtre.

La dernière représentation en date nous a été jouée par le ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales, le général Kafougouna Koné. Après la cocasserie du faux retour des combattants de l’Alliance, notre ministre est apparu à la télévision pour donner des explications sur le pourquoi du comment de l’échec de Kidal et pourquoi il a dit « non ». Il espérait certainement être applaudi pour un geste être interprété comme un acte de « courage » et de « bravoure ». Mais la réalité est toute autre. Parce que ce qui s’est passé à Kidal n’est qu’une déculottée de plus dans la longue liste de celles déjà enregistrées depuis les attaques du 23 Mai 2006 contre les villes de Kidal et de Ménaka. Parce qu’il est tout simplement incompréhensible que dans un Etat qui se respecte, dans un Etat normal, qu’on puisse monter une telle opération de réintégration sans avoir effectué un tant soit peu un travail préliminaire. Il faut croire que les combattants de l’Alliance sont vraiment sincère sinon avec le nombre des hommes et le matériel qu’ils transportaient rien ne les aurait empêcher d’attaquer la ville de Kidal et probablement de l’occuper.

Incapacité à combattre les rebelles

Pour avoir manqué au plus élémentaire des démarches, l’Etat malien lâche dans la nature des centaines de combattants armés jusqu’aux dents. Mais cela n’est ni le premier manquement et il faudrait craindre qu’il ne soit pas le dernier. Quand le 23 Mai 2006, les Maliens apprenaient que les villes que Kidal et de Ménaka ont été attaqués par des éléments, dont la plupart sont des intégrés, qui se réclameraient plus tard de l’Alliance pour la démocratie et le changement, le président de la République a eu le réflexe qu’il fallait : ne pas confondre les auteurs des attaques et la communauté à laquelle ils appartiennent. Le message avait été bien compris même s’il n’avait été que passablement accepté dans certains milieux. Les rebelles étaient promis à un châtiment exemplaire. Mais à la surprise générale, les accords d’Alger ont été signés en catimini en juillet de la même. Aucune institution n’avait été associée : ni le gouvernement, ni l’Assemblée nationale encore moins les autres segments de la société qui toujours été actifs dans la gestion de ce dossier. Mieux, le discours a totalement changé. Ceux qui avaient eu l’outrecuidance d’émettre des réserves sur l’efficacité des Accords d’Alger ou de critiquer la manière dont ils ont été signés ont été voués aux gémonies. Inutile de revenir sur les propos du genre « les guerres qu’on gagne sont les guerre qu’on ne mène pas ». Résultat des course, la situation ne fait qu’empirer avec l’apparition de méthodes complètement nouvelles sous nos cieux : enlèvements d’otages à un rythme industriel, pose de mines antipersonnel etc. Le processus de paix n’a jamais vraiment fonctionné. Quand ce n’est pas Fagaga qui s’en va avec quelques éléments ; c’est Bahanga qui plie armes et bagages ; et parfois ce sont les deux qui se font la belle et narguent nos soldats en les tuant et en revenant dans les accords au gré de leur humeur et de leurs intérêts personnels. Malgré  des attaques meurtrières comme à Abeïbara par exemple, nos autorités ont toujours continué à tendre une main quitte à se la faire couper. Même quand Bahanga a officiellement créé son mouvement dissident, nos autorités ont toujours recherché sa compagnie. Alors même tout le monde sait qu’il se moquait de ceux d’en  face.

Avec l’attaque de Nampala, nos autorités ont enfin reconnu que Bahanga et ses hommes ne sont que des bandits de grands chemins liés aux grands réseaux maffieux internationaux qui se livrent à toutes sortes de trafics : drogues, armes, cigarettes etc. Mais là aussi le commun des Maliens ne sent pas bien les autorités dans la lutte contre ces bandits. A la date de ce jour, aucun mandat d’arrêt international n’a été émis à leur encontre à défaut de pouvoir leur livrer bataille. A la date d’aujourd’hui, personne parmi ces bandits n’a été mis hors d’état de nuire par nos autorités. Au contraires, Bahanga et ses hommes, profitant de l’impunité, se comportent comme en territoire conquis, voyageant du Nord au Sud, frappant au gré de leur puissance de feu. Conséquence, nulle part les Maliens ne se sentent en sécurité. Nos autorités laissent la pathétique impression d’être même incapables d’assurer la sécurité des populations. Et comme personne ne voudrait se coucher en attendant de se faire égorger, les communautés sont en train de s’organiser et de s’armer. Dans la vaste communauté touarègue, chaque tribu dispose de sa milice pour se défendre et au besoin pour prendre des initiatives. Les Arabes ne sont pas en reste car les nouvelles sont hélas vérifiées qu’ils sont en train de s’armer eux-aussi. Sans vraiment le dire, l’Etat donne l’impression de laisser à chaque communauté le soin de défendre « son » espace contre les agresseurs. Cet état de fait constitue une preuve supplémentaire de l’échec d’une approche que tous reconnaissent, sauf  bien entendu ses tenants.

Ayant échoué à combattre les rebelles alors même que plus personne ne s’oppose à l’usage de la force armée, ayant échoué à enrayer le banditisme résiduel qui se développe comme une métastase, comment ne pas arriver à la seule conclusion qui s’impose aux yeux de tous : u dèsèra.

Bassaro Touré LA Nouvelle République

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