Brouillard autour de l’Initiative Riz, LA GRANDE ARNAQUE

Les dernières nouvelles des rizeries du pays et des marchés de céréales ont placé sous l’éteignoir l’enthousiasme du gouvernement annonçant un excédant jamais égalé en matière de productions agricoles. Le riz est invisible ; quand on le voit, il est intouchable. De quoi donner raison à tous ceux qui avaient estimé que l’Initiative Riz a été mal pensée, mal préparée et lancée dans la précipitation. Ce qui fait dire à beaucoup de Maliens que ça flaire bon la bonne affaire pour ne pas dire la grosse arnaque tout simplement.

 

« Rira bien qui rira le dernier » déclaraient ceux que la déclaration tapageuse du gouvernement concernant les productions agricoles laissaient perplexes et sceptiques. Les mêmes qui avaient prévenu que l’Initiative du Premier ministre était mal montée, sans concertation et sans préparation. Parmi eux, nous sommes. Et nous avions frôlé l’accusation de ne pas aimer notre pays. Mais bon, passons sur ces moments d’hystérie où ceux qui avaient l’injure à la bouche refusaient de nous entendre tout simplement : oui l’Initiative est une excellente chose ; oui, il ne se trouvera pas un seul Malien pour faire la fine bouche devant l’abondance de riz ; non, ça paraissait trop beau pour être vrai ; non, il serait trop de demander des résultats appréciables cette année en seulement six mois. Voilà grosso modo, ce que nous écrivions. Et Dieu sait que nous n’étions pas les seuls à exprimer à haute voix nos doutes. Mais le gouvernement n’a pas manqué une seule occasion pour tourner en dérision les craintes de tous ceux qui estimaient qu’il en va autrement du travail des champs que du travail dans les casernes ; et que contrairement aux hommes à qui il peut arriver de raconter tout et son contraire, la terre ne ment pas. Pour les initiateurs de l’Initiative Riz, il suffisait d’injecter quelques dizaines de milliards de nos francs et le tour devait être joué. Sauf que ça ne marche pas.

Même le président de la République en a eu pour son grade. Son tort ? Avoir osé penser différemment et exprimer les craintes d’un chef qui voit ses troupes prendre une autre direction sans l’en aviser encore moins sans son consentement. En effet, profitant de la journée paysanne, le président de la République avait déclaré qu’à son avis, l’Initiative avait été lancée au mauvais moment et qu’une bonne préparation aurait dû permettre au gouvernement de la lancer l’année prochaine. ATT faisait du Parena sans le Parena. Là où le bon sens aurait dû conduire à repenser les contours de l’Initiative, à prendre les bonnes décisions en amont, à réfléchir sur la commercialisation d’un excédent qui allait de toutes les façons venir et à voir quel serait le meilleur prix pour les consommateurs qui ont été délesté d’une bonne dizaine de milliards de francs CFA de leurs impôts sous forme de subventions accordées aux producteurs ; le gouvernement n’avait qu’un seul souci : prouver qu’il avait raison et que tous, y compris le président de la République, avaient tort parce que déconnectés des réalités sur le terrain. C’est ainsi qu’on a assisté au spectacle surréaliste de journalistes déversés dans les zones ciblées par l’Initiative pour témoigner que tout allait bien. Après les journalistes, ce fut le tour aux membres du gouvernement de se mobiliser pour débarquer dans les champs, souvent en hauts talons pour certains qui n’avaient jamais vu un paysan de leurs yeux, pour donner un coup de main à une Initiative qui en avait besoin.

 

Le festival des brigands

Jamais à court d’idées pour faire un peu de communication, le gouvernement croyait l’affaire dans le sac après les récoltes. Mais il fallu que de fortes interrogations surgissent devant la rareté du riz et les prix prohibitifs affichés sur les marchés pour qu’on monte à la quatrième vitesse une émission télévisée. Les invités ont été triés sur le volet pour être sûr de ne pas avoir un zozo sur le plateau qui viendrait mettre les pieds dans le plat…de (l’Initiative) riz. L’objectif était de rassurer les bonnes âmes. Mais ce fut tout autre chose. Entre les producteurs qui estiment avoir eu l’affaire du siècle avec des subventions inespérées et des commerçants cherchant à faire de bonnes affaires sur la base d’un riz introuvable, il y avait les représentants de l’Etat qui avaient souci de ne pas confirmer les craintes et les consommateurs qui se demandent à quand le riz à portée de leur bourse. Au sortir du débat, deux certitudes : primo, le riz est introuvable (il n’existe pas avait affirmé le président de la CCIM ; secundo, il est cher. Comme pour l’Initiative Riz, les objectifs de l’émission sont loin d’être atteints. Jamais à court d’idées quand il s’agit de fuite en avant, le gouvernement met autour d’une table les différents acteurs et les contraint à un protocole d’accord demandant aux producteurs de céder le riz à 250 francs aux commerçants qui à leur tour devaient le vendre à 300 francs sur les marchés. Trop pour être vrai dans la mesure où les belles résolutions du protocole d’accord ne collent pas à la réalité du terrain ou des rizières. En effet, devant le retard mis par le gouvernement à encadrer les prix d’un riz qu’il a contribué à produire à hauteur d’un investissement de 42 milliards, les producteurs ont pris les devants. Convaincus qu’ils sont bénis de Dieu qui les a arrosés d’une abondante manne financière, ils se sont mis à chercher à placer leur riz avec l’intention d’éponger d’un seul coup toutes les dettes qui les assaillent. Résultat des courses : le protocole est inapplicable sur les marchés (voir reportage).

Comme à son habitude, le gouvernement fera l’autruche. Pour lui, son rôle est terminé dès lors qu’il y a eu un protocole d’accord même inopérationnel sur les marchés. Dans cette affaire, ce sont les consommateurs qui ressemblent aux dindons d’une vaste farce. On les a convaincus de lâcher quelques milliards ; on leur a promis que du jour au lendemain ils trouveraient leur grenier rempli. Et voilà qu’on a l’air de leur dire aujourd’hui : « oui, nous avons foiré mais nous nous rattrapons en fixant à 300 francs le kilo d’un riz inexistant ; débrouillez-vous pour vous approvisionner ». Les associations de consommateurs qui avaient applaudi pourraient bien se mordre les doigts, faute de pouvoir se pourlécher les babines. Quant aux commerçants, ils frottent les mains. Sachant le fameux riz introuvable, Bittar avait averti en déclarant qu’il leur était plus rentable de se rendre au port pur acheter du riz de bonne qualité nettement moins cher. Mais ceux dont l’attitude surprend, c’est sans doute les producteurs. A entendre leurs représentants et même ceux qui dirigent l’APCAM, ils donnent l’impression que l’occasion de remplir leur grenier tout en se faisan les poches, est trop belle pour être gâchée par un sentimentalisme de mauvais goût. Ils ne reconnaissance le sens de la solidarité nationale qui a permis de libérer des subventions à leur profit et qu’ils devraient renvoyer l’ascenseur. Pour des gens qui ont longtemps trimé et qui avaient l’impression d’être des damnés de la terre, l’ascenseur ils ne connaissent pas ; à plus forte raison le renvoyer. Il se trouvera forcément des gens pour nous expliquer après que dans la sous région nous avons les tarifs les moins élevés malgré leur caractère prohibitif pour de nombreux Maliens. Sauf que dans la sous région, ils ne sont pas nombreux les pays à avoir mis 42 milliards dans une campagne agricole rien que pour favoriser le riz. A ce tarif là, ça sent tout simplement la grande arnaque. 

Bassaro Touré La Nouvelle République

Top