Les femmes sont nombreuses à mener cette activité qui leur permet de gagner de l’argent. Mais cela ne doit pas cacher un problème de fond : la question de leur accès à la terre et aux autres moyens de production.
Il est toujours bon de le rappeler : le cercle de Niono est au cœur de « la ceinture du riz » dans notre pays. La zone est en effet le grenier du pays en riz. La riziculture est une activité pratiquement monopolisée par les hommes, car ce sont eux qui détiennent la terre. On y rencontre donc peu de femmes. Mais qu’à cela ne tienne. Celles-ci ont trouvé le créneau dans lequel personne n’a intérêt à les discriminer : le repiquage du riz. Une activité qui leur est pratiquement réservée. Le repiquage est une pratique recommandée pour la culture du riz de bas-fond et le riz irrigué. Il implique l’arrachage des plantules de riz d’une pépinière au stade de 3 ou 4 feuilles (généralement vers l’âge de 15 à 21 jours), et leur repiquage dans un champ. Avec la pratique du repiquage, le champ a moins besoin d’être irrigué, d’être désherbé et de semences, mais donne dans le même temps des rendements plus élevés. Il est 7 heures, un matin du mois d’août. Nous sommes dans la zone de Office du Niger à Niono. Les repiquages battent leur plein. Les femmes ont investi les champs. Nous sommes précisément dans le champ de riz de Mme Kadiatou Kanté. Des femmes sont affairées au repiquage. La situation de Mme Kadiatou Kanté est un peu particulière. Elle est l’une des rares femmes à avoir son champ de riz dans la zone. Les autres femmes qui sont venues travailler dans sa parcelle n’ont pas cette chance de disposer de terre pour cultiver. Elles sont venues de villages environnants de Niono. Elles sont organisées en groupe.
EN FAMILLE. Mme Nou-moussira Diarra est le chef d’un groupe qui fait le repiquage du champ de Mme Kadiatou Kanté. Agée d’une quarantaine d’années, Noumoussira Diarra travaille avec ses quatre filles. « Je suis veuve depuis 3 ans. Vous comprendrez donc qu’il me faut travailler pour faire vivre ma famille », confie la dame dont la journée de travail commence à 7 heures pour ne s’achever qu’à 18 heures. En plus, elle et ses filles doivent marcher plusieurs kilomètres, le matin pour se rendre dans les champs, et le soir pour regagner la maison. Noumoussira Diarra estime avoir bien fait d’initier ses enfants au repiquage. Cela leur donne une activité génératrice de revenu, et elles sont moins tentées par l’exode rural. « Avant mes filles partaient à Bamako pour travailler comme aide-ménagères. La première fille a eu une mauvaise expérience en tombant enceinte », explique la mère de famille. Le travail de repiquage n’est pas facile. Pour réduire la charge du travail, les femmes utilisent leurs pieds comme guide lorsqu’elles font le repiquage en lignes. Avec ce procédé, les lignes ne sont pas tout à fait droites. Mais qu’importe, la méthode est rapide et simple. La manière de repiquer varie d’une contrée à l’autre. Par exemple, certains paysans utilisent une longue corde marquée à intervalles réguliers. Après le repiquage de chaque ligne, ils déplacent la corde sur la ligne suivante. Les paysans laissent souvent 20 centimètres entre les plantes et 20 centimètres entre les lignes. Noumoussira confie que le travail est pénible, mais bien rémunérateur. Pour le repiquage du champ de Mme Kadiatou Kanté, Noumoussira Diarra et ses filles empocheront 200 000 Fcfa en raison de 20 000 Fcfa l’hectare. En une seule campagne, le petit groupe peut repiquer une quarantaine d’hectares. « Faites-vous même le calcul ! », lance-t-elle pour nous convaincre que l’activité rapporte. Que fait Noumoussira avec l’argent ainsi gagné ? L’usage est multiple. Une partie de l’argent sert à nourrir la famille. Elle en garde une autre pour alimenter le petit commerce qu’elle pratique en période dite morte.
LE RêVE LE PLUS CHER. Pour ce qui de l’argent gagné par ses filles, Noumoussira a organisé la gestion dans un esprit de prévoyance remarquable. L’argent des filles est divisé en deux parties. L’une leur sert à satisfaire leurs besoins quotidiens, l’autre est utilisée pour acheter des trousseaux de mariage. « Grâce au repiquage, la famille arrive à joindre les deux bouts. Mais notre rêve le plus cher est d’avoir notre propre champ de riz », explique Ouriya, la première fille de Noumoussira Diarra. La jeune fille estime que la riziculture contribue à réduire l’ampleur de l’exode rural dans le cercle de Niono. Comme la famille de Noumoussira Diarra, plusieurs groupes de femmes, essentiellement des jeunes filles, font le repiquage du riz dans la zone. Oumou Soucko fait partie du groupe dénommé « Hongroyage » qui regroupe une dizaine de filles. Contrairement à beaucoup d’autres filles, Oumou fréquente l’école. Elle profite des vacances pour faire le repiquage. « Avec l’argent que je gagne, je peux acheter des fournitures scolaires et des habits. Je parviens aussi à aider un peu mes parents », assure Oumou. En effet, la jeune fille gagne entre 100 000 et 150 000 Fcfa pendant le temps que dure la campagne de repiquage. » Peut-être, c’est même grâce à ce travail que je suis encore à l’école. Sans l’argent du repiquage, mes parents m’auraient sans doute sortie de l’école plutôt que de payer mes fournitures scolaires », ajoute la jeune fille. Si des femmes arrivent à se prendre en charge dans la zone de l’Office du Niger, cela ne doit pas cacher un problème de fond : elles ont besoin d’avoir accès à la terre pour être à leur tour productrices. Toutes sont convaincues qu’en mettant plus de terre à la disposition des femmes et en leur facilitant l’accès aux crédits et aux équipements, l’on les aiderait à mieux gagner leur vie. Et du coup, faire reculer la pauvreté dans la zone.
par Mariam A. Traoré