Ils excellent sur des tronçons trop courts pour les Sotrama et trop longs pour un piéton, une caractéristique des quartiers périphériques
De façon générale, les villes africaines sont confrontées à d’énormes problèmes au nombre desquels le transport n’est pas le moindre. Selon Eboubou Jemba de l’Université de Lyon en France, auteur d’une étude exploratoire sur les taxis motos dans les villes africaines au sud du Sahara, l’espace urbain se caractérise par la densification des zones centrales et l’extension des périphéries d’habitat dépourvues d’infrastructures et de services de base. Cette configuration de nos villes prend généralement la forme d’un foisonnement désordonné. Et de fait, la superficie des agglomérations urbaines tend à croître encore plus rapidement que même la population. La nature de la croissance urbaine est symptomatique de villes marquées par la pauvreté et les capacités limitées des interventions publiques. La même étude constate que la situation des transports urbains illustre ce manque de moyens qui touche à la fois les acteurs privés et publics. Le réseau routier est généralement peu développé et en mauvais état, les voies bitumées sont limitées au centre et aux principales liaisons centre/périphérie. Les entreprises publiques de transport ont disparu dans la plupart des villes du fait de la conjonction des effets des politiques macro-économiques reposant sur le retrait de l’État, de l’absence d’une politique de transports cohérente et des errements dans la gestion de ces entreprises. Fortement incitée par les projets sectoriels de transport, la dérégulation a favorisé le développement d’une offre privée majoritairement artisanale. Dans un contexte de forte demande de transport public la motorisation individuelle était encore réservée à une minorité. Mais il faut reconnaître l’arrivée massive des motos, notamment en provenance de Chine, a contribué à offrir une autre alternative à des milliers d’habitants de la capitale. Mais la popularisation de la moto n’a contribué à baisser la pression sur les transports en commun exploité exclusivement par les privés. C’est ainsi que les minibus communément appelés Sotrama et les « Duruni » continuent de faire partie du paysage de notre capitale. Mais les opérateurs exploitant ces véhicules, profitent de l’absence d’obligation de service public et abusent d’un cadre réglementaire opaque et appliqué de manière peu rigoureuse par les autorités compétentes.
LA REPONSE A UN DOUBLE OBJECTIF. C’est dans un tel contexte que les motos taxis communément appelés « taxini » ont fait leur apparition, notamment à Bamako et à Ségou. L’initiative originale est venue de du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle qui l’a mise en œuvre à travers l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ). L’opération, lancée en février 2008, a été un grand succès si l’on en juge par la forte sollicitation dont les taxis motos font l’objet actuellement dans certains quartiers de la rive droite de la capitale. L’initiative s’inscrit dans la politique nationale de l’emploi. L’introduction des motos taxis répond ainsi à un double objectif : créer des emplois et faciliter la circulation des personnes. En donnant des emplois à des jeunes, l’initiative contribue à lutter contre la pauvreté. Ces engins sont par ailleurs utilisés par des entreprises de la place comme véhicules de livraison. Importés de Chine, ces tricycles coûtent 800 000 Fcfa l’unité. Si Cotonou et Lomé ont leurs « Zimedjans », Bamako a désormais ses « Taxinis ». La capitale compterait aujourd’hui une centaine de ces engins à trois roues. On les croise généralement au niveau des logements sociaux de Yirimadio et dans des quartiers comme Niamakoro. Ils sont facilement reconnaissables à leurs couleurs bleues et leurs porte-bagages. Le Taxini transporte de 5 à 7 personnes. Pour les emprunter, il suffit de gagner une place publique où un carrefour où ils attendent des clients. Souvent, eux-mêmes circulent à l’intérieur des quartiers en quête de passagers. Ces véhicules sont parfaitement adaptés aux liaisons rapides et relativement courtes sur des tronçons peu intéressants pour les Sotramas mais harassants pour un piéton. Pour les héler, un petit geste de la main suffit, comme d’ailleurs avec les minibus Sotrama. Mais à la différence de ceux-ci, les « taxini » disposent d’une grande souplesse pour les arrêts. Quand vous leur indiquez votre destination, les négociations commencent sur le prix de la course. Les tarifs varient entre 100 et 200 Fcfa selon la distance. Boubacar Doumbia est originaire de Kéniéba. Le jeune homme de 27 ans est arrivé dans la capitale pour la première fois en début d’année. Il a eu la chance de bénéficier d’un taxi moto. « C’est grâce à mon oncle chez qui j’habitais que j’ai eu le taxini », raconte-t-il. Comme beaucoup d’autres jeunes, il opère au quartier Niamakoro. Le jeune homme circule toute la journée et ne décroche généralement qu’aux environs de 22 heures. Pour avoir des clients, il cible les sorties des grandes rues, les marchés et les places publiques. « Il faut avoir le flair du mouvement des clients potentiels et travailler dur. Je suis venu à Bamako pour gagner des sous. Mon souci n’est donc pas d’aimer ou de ne pas aimer ce boulot. Le taxini a été une chance pour beaucoup de jeunes comme moi », confie-t-il.
DES TRAVERS. D’autres conducteurs de taxini sont moins loquaces que Doumbia. Ils se contentent juste de reconnaître que grâce aux motos taxis, ils sont sortis du chômage et qu’ils arrivent désormais à se prendre en charge. « Nous ne pouvons pas vous dévoiler notre recette journalière et risquer de nous retrouver dans des problèmes avec nos employeurs », justifie l’un d’entre eux, soucieux de garder l’anonymat. Sékou Tangara est un client des taxis motos. Il énumère les avantages des taxinis : « Ils sont moins cher, rapides, et peuvent vous déposer partout jusque devant votre porte. Même en saison des pluies, comme c’est le cas actuellement, ils ne rechignent pas à vous amener dans des zones dont l’accès est particulièrement difficile ». Mais certains relèvent les travers des taxis motos. Ils leur reprochent d’occasionner de nombreux accidents à cause du manque de maîtrise des conducteurs, de leur méconnaissance du code de la route, des excès de vitesse dans un contexte bamakois où la circulation est véritablement devenue chaotique. Samba Diallo, lui aussi client de ces engins, témoigne : « C’est vrai que les tarifs des taxis motos défient toute concurrence. Ils sont très pratiques. Mais certains roulent à tombeau ouvert. D’autres ne respectent pas le code de la route. Ils vous donnent souvent des frissons. Chaque fois que c’est le cas, je rappelle toujours le conducteur à l’ordre. Et généralement, il obtempère ». Autre client, autre son de cloche : Moussa Coulibaly ne tarit pas d’éloges pour ces moyens de transport. « Ils sont plus confortables que les Sotrama et Duruni, 100 fois moins chers que les taxis classiques. Il faut vraiment encourager ces jeunes qui font du bon travail et multiplier les taxis motos à travers la ville », s’enthousiasme Moussa Coulibaly. De toute évidence, les taxis motos ont trouvé leur voie dans le paysage des quartiers périphériques. Ils remplissent utilement un vide, rapprochant ces cités de la ville et, surtout, répondent à un besoin que personne d’autre n’avait entrepris de satisfaire.
par Demba Coulibaly