Les élèves meublent les vacances selon leurs centres d’intérêt, leurs conditions sociales ou leurs moyens
Les vacances battent leur plein pour les élèves de l’enseignement fondamental et ceux du secondaire tandis que les étudiants du supérieur sont condamnés à rattraper les trois mois de retard pris sur le programme à cause de la longue grève des enseignants de cet ordre d’enseignement. Les élèves meublent ces vacances selon leurs centres d’intérêt, leurs conditions sociales ou, tout simplement, leurs moyens. Dans les campagnes, les jeunes aident leurs parents dans les travaux champêtres ou accompagnent les bergers faire paître les animaux. Des anciens assurent d’ailleurs que les pères de l’Indépendance ont tenu compte du caractère agro-pastoral de notre pays pour fixer le calendrier des vacances. Selon eux, si les vacances scolaires durent trois mois à la différence de nombre de nos voisins où la rentrée des classes intervient dès septembre, c’était pour donner plus de temps aux élèves afin d’aider leurs parents lors des récoltes. Cette vision des réalités du pays n’est certainement pas aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était autrefois. Du moins à Bamako et dans les autres grands centres urbains. Dans la capitale, les élèves dont les parents ont des ressources, partent en colonie de vacances à la découverte d’autres pays. Rien de plus normal, juste à souhaiter à ce propos la création de circuits en direction de nos villes et campagnes pour permettre aux enfants de découvrir le pays profond.
PETITS METIERS. « J’estime que ce serait une très bonne chose. Moi j’aimerai tellement découvrir le pays. Mais chez nous, le tourisme intérieur n’est pas développé. On ne peut pas se déplacer pour aller visiter une ville où on n’a pas de parent ou de relation. Dans mon cas précis, je suis natif de Bamako. Je peux vous assurer que je ne suis jamais allé à Fana tout près », témoigne un jeune diplômé au chômage. Pour les élèves qui n’ont pas les moyens de partir en colonie de vacances, d’autres possibilités s’offrent évidemment. Ils peuvent se faire un peu d’argent en se transformant en petits commerçants ambulants, en cireurs de chaussures, ou en laveurs de pare-brise de véhicule aux feux rouges. D’autres plus âgés vont travailler dans des boutiques au Grand marché de Bamako pour aider ces commerçants à tenir leurs comptes. Il y en aussi qui peuvent tenter l’expérience d’employé dans un bar-restaurant. C’est le cas de M. D, un terminaliste du lycée. « Cela fait trois ans que vient travailler ici comme serveur dans ce maquis pendant les vacances. Ça me permet de gagner un peu de sous dans la perspective de la rentrée », confie-t-il. Et son employeur est très satisfait de lui. « C’est son oncle qui me l’a confié. J’avoue qu’il me donne satisfaction. Il est dynamique. Et contrairement à bon nombre de mes employés qui n’ont pas été à l’école, il a l’esprit ouvert, il sait faire les calculs et parle correctement français. Ce qui très important dans des établissements comme le mien dont une grande partie de la clientèle est constituée de touristes. C’est avec regret que je le laisse partir à la fin des vacances », avoue le patron des lieux. Une autre catégorie d’élèves passe les grandes vacances à travailler avec les parents qui sont généralement des tailleurs, des menuisiers ou des mécaniciens. « Je suis mécanicien, car je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. Je ne souhaite pas que mon enfant devienne mécanicien comme moi. Mais on ne sait jamais. Avec la crise de l’emploi actuel, c’est toujours utile de connaître un métier », confie J. S.
PLAINTE A LA POLICE. Il y a, bien entendu, des élèves qui passent leur temps à s’amuser. Actuellement des veillées nocturnes autour du thé et de la musique sont organisées un peu partout à Bamako. On y débat de tout et de rien. « Nous nous racontons nos histoires de copines, nos petits secrets. Les discussions portent souvent sur la mode, le football, et même sur la politique. En veillant, nous contribuons également à dissuader d’éventuels voleurs dans le secteur », justifie N. C. qui habite le Badialan I. Tout le monde ne voit pas ces interminables tea party du même œil. Le doyen A. T, un cheminot à la retraite, est révolté contre le tapage nocturne des jeunes. « Ils perturbent notre sommeil. A cause d’eux, on dort mal. Je me réveille difficilement pour accomplir la prière de l’aube », se plaint-il. B. S, un autre chef de famille ne s’est pas contenté de lamentations. Après plusieurs mises en garde faites aux jeunes de son secteur, il est allé se plaindre à la police. Il assure que, depuis, il a la tranquillité. Mais sa démarche a été mal perçue par des voisins qui estiment que les jeunes ont le droit de s’amuser pendant leurs vacances. D’autres « vacanciers » préfèrent s’éclater la nuit dans des espaces de loisirs. Ils écument les coins chauds de la ville : boîtes de nuit, bars-restaurants, casino. L’élève terminaliste S. D fait partie de ces noctambules fêtards. Il sort de la maison familiale la nuit pour ne souvent revenir qu’au petit matin. Et parfois en état d’ébriété. En effet, nombre de jeunes qui fréquentent les boîtes de nuit et les bars cèdent à l’alcool ou à la drogue. Ils passent alors une bonne partie de la journée dans les « vapes » au grand désespoir de leurs parents. « Mes amis et moi fréquentons actuellement les boîtes. On s’amuse toute la nuit. C’est vrai qu’on touche à l’alcool mais on fait attention à ne pas être trop ivre », assure S. D. Il est normal, de son point de vue, que les élèves se divertissent après une longue et dure année scolaire. Mais la vie nocturne (surtout bien arrosée) comporte des risques. Dans le passé, l’on a vu des fêtards victimes d’accidents de la circulation très graves de retour de cabarets où ils avaient fait la bombance. Des véhicules ont plongé dans le fleuve Niger après avoir arraché les garde-fous du pont des Martyrs.
DES CONSEQUENCES SUR LA SANTE. Aboubacrine Ousmane Traoré qui est enseignant, estime que les vacances ont perdu leur sens. « De nos jours, à la fin des vacances scolaires, nous constatons que des élèves reviennent à l’école avec des comportements négatifs. Cela joue sur leur scolarité. Ils oublient beaucoup de choses qu’ils ont apprises au cours de l’année scolaire. D’où la multiplication des programmes de révision », note l’enseignant. Si cela ne tenait qu’à lui, les « grin » (groupes de causerie) seraient des lieux éducatifs. « On apprend en famille, à l’école. On peut aussi le faire dans le « grin. Dans le temps quand on se retrouvait entre nous, c’était pour discuter de sujets intéressants. De littérature, d’histoire, de politique, etc. Mais nos jeunes d’aujourd’hui ne font plus d’efforts intellectuels. Et même quand ils vont dans les cybercafés, c’est pour télécharger des films pornographiques », déplore le pédagogue. Une vie nocturne débridée a également des conséquences sur la santé. C’est ce que relève le docteur Fanta Kaba Diakité, médecin à l’hôpital du Point G. « Une personne qui ne dort pas est exposée à l’asthénie. Cette anomalie se manifeste par une fatigue extrême des nerfs, une perte de la performance, des troubles psychologiques », explique-t-il, en précisant que le manque de sommeil cause un changement de rythme au niveau des organes biologiques chez l’homme. « Cela peut être fatal pour la santé », diagnostique pour sa part le docteur Nouhoum Sangaré de l’association de santé communautaire (Asaco) de Hamdallaye en Commune IV du district de Bamako. Mais comme on l’a vu, les jeunes scolaires en vacances ne sont pas que des noceurs invétérés. Certains savent alterner distractions et sérieux : ils s’amusent la nuit et apprennent la journée à la faveur de cours de vacances. A chacun ses vacances.