C’est l’actuel Chef de l’Etat, le Général Amadou Toumani TOURE, qui, dans son discours solennel à la Nation, le 22 septembre 2007, a levé le lièvre de la réforme en dévoilant son ambition de proposer à la Chambre l’adoption d’un nouveau Code de la Famille. S’adressant à ses compatriotes, à peine réélu trois mois, le Président ATT dit :
« J’engage le Gouvernement à présenter, dans les prochaines semaines, deux Projets de Loi à l’Assemblée Nationale, portant respectivement sur la suppression de la peine de mort et l’adoption d’un nouveau Code de la Famille et de la Personne.
Ce nouveau Code de la Famille a fait l’objet, au cours des dernières années, de très larges concertations.
Je suis sûr que le débat parlementaire enrichira ces acquis afin que nous puissions disposer d’un document qui tienne compte des évolutions nécessaires, sans jamais renier nos valeurs de société et nos traditions ».
Promesse électorale ou engagement envers les bailleurs de fonds ? Si la campagne du Takokelen a été plutôt menée tambours battant sur le PDES et qu’à aucun moment de cette palpitante et exaltante cavalcade électorale, mention n’a été faite d’une éventuelle réforme du droit des personnes et de la famille, tandis que les bailleurs de fonds, main sur le cœur, réfutent très diplomatiquement avoir fait quelques pressions que ce soit sur le régime malien dans le sens d’adopter un Code de la famille. La réponse de la délégation de l’Union européenne à Bamako, suite à notre article intitulé « les bailleurs, le Mali et le code : Chantage autour de 400 milliards » du jeudi 17 septembre 2009, est à cet égard illustrative :
« Les bailleurs de fonds, dont la Délégation de la Commission européenne, les États membres et d’autres partenaires techniques et financiers comme la Banque mondiale, le Canada et la Suisse ont d’abord établi en 2006 un profil de gouvernance du pays. Le profil a permis d’évaluer la situation du pays, d’identifier les difficultés potentielles, de définir les domaines de coopération, et de faire ressortir les principales faiblesses en matière de gouvernance. Le profil gouvernance a ensuite été partagé avec le gouvernement, qui a donné ses commentaires avant d’adopter à son tour, en mars 2007, le Plan d’Actions Gouvernance pour la période du 10ème « FED, à savoir les années 2008 – 2013 (…)
Ce plan d’action gouvernance comprend 70 engagements du gouvernement malien pour améliorer la gouvernance dans le pays. Parmi ces 70 engagements, un seul a trait au Code des personnes et de la famille. Pour être exact, le gouvernement s’est engagé à déposer le « projet de loi du Code des personnes et de la famille à l’Assemblée nationale». Cela a été fait après l’adoption du Code par le Conseil des ministres le 13 mai 2009 (…)
La Commission européenne n’a jamais exigé l’adoption du Code des personnes et de la famille et elle ne lie pas directement l’adoption du Code au montant de ses financements. La Commission européenne n’est pas non plus impliquée dans la réalisation des engagements du Gouvernement ou dans leur formulation. Par exemple, elle n’intervient nullement dans l’élaboration du contenu du Code des personnes et de la famille qui reste la prérogative du seul gouvernement malien. » (Extrait Droit de réponse UE, Info-Matin du 23 septembre 2009)
Démenti très diplomatique ? Il faut être un bon Coulibaly pour s’attendre à ce que le représentant de l’Union européenne, au nom des bailleurs de fonds, reconnaisse et confirme publiquement quelque immixtion que ce soit dans cette bombe sociale que même le renvoi en seconde lecture aura du mal à décoder, pardon à désamorcer. Mais tout le monde n’est pas rompu à la langue de Ces Excellences, et on ne demande pas à « Révolutionnaire » de la trempe de MARIKO, formé à l’Ecole Che Guevariste, castriste, sankariste et fasciné par Lula et Chavez, même flanqué d’une tunique d’honorabilité de député de la nation, d’ingurgiter des « éléments de langage » qui ne fâchent pas. De la langue de bois, il n’en a cure, il dit les choses telles qu’elles sont qu’elles plaisent ou qu’elles ne plaisent pas. Et, au moment où d’autres députés plus politiciens jurent diplomatiquement sur leurs Dieux (mais pas sur DIEU) qu’il n’y a pas eu de pression, la version de l’honorable Dr Oumar MARIKO, dans cette affaire de pression des bailleurs de fonds, est digne d’intérêt pour l’histoire :
«Ce code a été voté dans la panoplie des textes qui préoccupent très sérieusement les partenaires techniques et financiers… L’Union Européenne s’est démasquée et c’est aux Maliens de faire la bonne lecture de cela… Mais, vous verrez que dans le langage des ONG et dans celui du gouvernement, un accent particulier est mis sur l’appropriation de telle ou telle initiative par le pays et par les masses. Et cette forme d’appropriation est une forme d’imposition et de diktat. Mais, qu’on me dise franchement quelles sont les lois qui sont votées par l’Assemblée Nationale qui sont d’inspiration purement malienne. Je suis à l’Assemblée Nationale et je pense que la situation est extrêmement grave. La perte de la souveraineté est visible à l’Assemblée nationale. C’est perceptible et les Maliens doivent prendre conscience de cela. Députés à l’Assemblée nationale, nous ne faisons qu’examiner des lois inspirées de l’extérieur…Je fais allusion à la loi sur les OGM et la loi de la liquidation de la CMDT. En ce qui concerne la CMDT, les députés avaient convenu de ne pas toucher la loi sur la CMDT et d’attendre le mois d’octobre ; mais le FMI et la Banque mondiale nous a sommé de venir, 5 jours après que l’Assemblée nationale soit allée en congé, pour voter la loi conformément à leurs besoins. C’est clair que le candidat qui répondait mieux aux intérêts des bailleurs était ATT. Voilà pourquoi, il a été fortement soutenu financièrement, matériellement et d’un point de vue médiatique pour être le Président du Mali. Et, c’est la même chose qu’on nous sert chaque fois pour que le peuple n’ait pas à s’exprimer. C’est comme ça le code et c’est comme ça les autres lois…L’Assemblée siège sur deux types de lois : les projets de lois et les propositions de lois. Si c’était la loi de l’Assemblée Nationale, ce serait une proposition de loi. Le Code de la famille est un projet de loi ; donc, c’est une loi du gouvernement. L’Assemblée a subi des pressions énormes pour voter rapidement cette loi qui faisait partie des conditionnalités de l’Union Européenne, mais aussi du Canada. Quand, j’étais Président de la commission des affaires étrangères, j’ai eu la chance d’assister à des audiences de diplomates étrangers à l’Assemblée nationale. Ils ne rataient jamais l’occasion de nous interpeller sur le vote du code des personnes et de la famille, l’égalité entre l’homme et la femme, la peine de mort, les droits de l’Homme et l’implication des femmes. Tous les diplomates revenaient régulièrement sur ces quatre éléments. Et nous étions parfois obligés de les interpeller aussi sur le traitement réservé à nos citoyens dans leur pays quant à l’immigration. Cette loi est une exigence de ces institutions qui n’ont que ça sur les lèvres. L’Assemblée Nationale ayant subi des pressions de toutes sortes a fini par voter la loi et la renvoyer au Président de la République… » (Le Républicain N°2964 du mercredi 21 octobre 2009).
La longue route du Code
D’où vient alors l’idée géniale de procéder à une telle réforme en profondeur de la législation relative aux personnes et à la famille de notre pays ? Pour le président ATT, « l’évolution sociale, économique et politique du Mali et l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit (qui) ont rendu nécessaire une relecture du droit des personnes, de la famille et des successions. » Dans son plaidoyers pro domo du 26 août dernier par lequel il a annoncé sa décision de renvoyer le Code des personnes et de la famille à l’Assemblée nationale pour une seconde lecture, le Président ATT explique qu’aussi hardie, osée que parfaite soit la réforme, elle ne vient pas d’ex nihilo et s’imposait au regard du « caractère épars et désuet (de la législation) dans bien de domaines, (qui) était souvent incomplète ou non conforme aux conventions et traités internationaux ratifiés par le Mali. » C’est ainsi qu’à son initiative, « le Gouvernement a engagé un vaste chantier de réforme du droit de la famille impliquant toutes les sensibilités nationales, pour une prise en compte réelle des droits de tous les citoyens » ; mais s’empressera-t-il d’ajouter et de faire acter «le Gouvernement a engagé un vaste chantier de réforme du droit de la famille impliquant toutes les sensibilités nationales, pour une prise en compte réelle des droits de tous les citoyens ».
L’idée de la réforme du droit des personnes et de la famille, à l’aune de la vérité présidentielle, procède d’un processus historique, que le régime n’a fait que porter à son terme avec l’adoption par le Parlement le 3 août dernier du projet à lui soumis par le gouvernement. En effet, ce serait donc en 1986, sous le règne du Général Moussa TRAORE, que l’idée a germé, et que, dix ans plus tard, en 1996, sous le Président Alpha Oumar Konaré, le chantier du Code a été ouvert avec « mise en place d’une équipe d’experts composée de représentants de l’AMUPI, de la CAFO, du Barreau et de personnes ressources en matière de droit de la famille. Cette équipe fut alors chargée de rédiger les termes de référence dans une démarche inclusive prenant en compte les aspirations, opinions et intérêts de toutes les catégories de citoyens (hommes, femmes, enfants). » Aussi, après 10 autres années de maturation, l’idée prend-elle forme et corps, à travers un avant-projet et, un an plus tard, le Chef de l’Etat peut se l’approprier et annoncer sans une certaine délectation la saisine prochaine de l’Assemblée nationale
Voici la genèse du processus ayant abouti au code des personnes et de la famille :
1996 : étude documentaire de la CAFO sur les grandes orientations du droit de la famille ;
1998 : implication du gouvernement, à travers le ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille pour conduire un vaste chantier de réformes du droit de la famille avec toutes les sensibilités nationales ;
1998 : réflexion d’un Collectif des associations islamiques sur un code du mariage, de la parenté et de la tutelle selon la charia ;
1999 (Mai): production d’un document intitulé « Contribution à l’élaboration d’un code de mariage, de la parenté et de la tutelle selon la charia ;
2000 : organisation des concertations régionales, du 10 octobre au 22 novembre 2000, par le MPFEF avec un document de base de travail approuvé par le conseil des ministres du 23 septembre 1999 et portant sur des questions relatives aux droit du mariage et régimes matrimoniaux, droit de la parenté et de la tutelle, droit des successions et des libéralités ;
2000 : participation des associations islamiques aux concertations de Bamako, le 10 octobre 2000, avec lecture d’une motion des représentants des musulmans ;
2001 : tenue de la synthèse nationale des concertations régionales à Bamako, en septembre 2001 (11, 12 et 13), au Palais des congrès de Bamako, avec la participation des associations islamiques, ayant pour résultat l’élaboration d’un projet de code des personnes et de la famille soumis au conseil des ministres du 22 mai 2002 ;
2002 : publication par la LIMAMA, le 2 juin 2002, d’une lettre ouverte de protestation suite au conseil des ministres du 22 mai 2002 sur le code de la famille ;
2002 : réunion des organes dirigeants du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), le 4 juin 2002, sur le code de la famille, la peine de mort et l’excision ;
2002 : tenue de deux réunions du HCIM, le 5 juin 2002, avec le Premier ministre Modibo KEITA sur les questions ci-dessus ;
2002 : communiqué de presse d’apaisement du HCIM, le 6 juin 2002, à la télévision après le journal de 20h15 relatif aux questions ci-dessus ;
2005 : mise en place, en 2005, d’une commission chargée de la finalisation du projet sous l’égide du ministre de la Justice ayant pour résultat l’élaboration d’un nouveau projet par le ministère de la Justice, inspiré du projet initial ;
2007 : déclaration du chef de l’Etat, le 8 mars 2007 : « Il ne sera pas adopté au Mali un code de la famille incompatible avec nos valeurs identitaires qui fondent notre spécificité et tant enviées par les autres pays…Il ne sera retenu que ce qui nous convient et rejeté ce qui ne l’est pas » ;
2007 : message du chef de l’Etat, le 22 septembre 2007 : annonce présidentielle de la saisine de l’Assemblée nationale d’une série de projets de lois dans plusieurs domaines parmi lesquels ceux relatifs à l’abolition de la peine de mort et au code de la famille ;
2007 : élaboration, le 17 octobre 2007, d’un mémorandum à l’attention du chef de l’Etat et relatif au code de la famille et à la peine de mort, intitulé « Mémorandum sur certaines préoccupations des musulmans au Mali » ;
2008 : participation des trois représentants du HCIM, le 15 janvier 2008, à la commission de réflexion sur le projet de code des personnes et de la famille ;
2008 : travaux de la commission, du 15 janvier au 28 mars 2008 ;
2008 : remise au chef de l’Etat, à Koulouba, le 22 mai 2008, du rapport de la commission ;
2008 : audience du chef de l’Etat, le 9 juin 2008, au HCIM et à ses invités à Koulouba, à propos des préoccupations des musulmans sur le projet de code ;
2009 : organisation par le ministère de la Justice, le 9 juillet 2009, d’un atelier de validation de l’outil de plaidoyer en faveur de l’adoption du code de personnes et de la famille ;
2009 : refus du HCIM, le 9 juillet 2009, d’apporter sa caution à l’outil de plaidoyer du ministère de la Justice relatif au code des personnes et de la famille ;
2009 : séance de travail à l’Assemblée nationale, le 27 juillet 2009, du HCIM et de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation, de la justice et des institutions de la république, et remise de la réponse écrite du HCIM au questionnaire de l’Assemblée nationale ;
2009 : l’Assemblée nationale, le 3 août, sous la présidence de Dioncounda TRAORE, adopte le projet de Code des personnes et de la famille par une large majorité de 117 voix pour, 5 contre et 4 abstention. Après le vote, le sentiment du Malien, il ne diffère guerre de celui du Secrétaire général du Haut Conseil Islamique, notre confrère Mohamed KIMBIRI : « Ce code est honteux, c’est une trahison [pour les musulmans]… Nous ne sommes pas contre l’esprit du code, mais nous voulons un code approprié pour le Mali, qui soit adapté à ses valeurs sociales. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce code ne soit pas promulgué ou adopté ». La suite, on la connaît…
A suivre…
Par Sambi TOURE