Quatre décennies après les indépendances politiques, le sort réservé aux langues nationales ne fait que renforcer les inégalités face aux connaissances scientifiques, techniques et technologiques. Ce rapport d’inégalité entre la langue officielle, héritée de la colonisation, et celle dite nationale, loin de favoriser un meilleur partage des connaissances et des pratiques modernes, hypothèque sérieusement le niveau d’accès des populations à la connaissance scientifique ; mais aussi au processus de prise de décisions.
Le système éducatif constitue, depuis un certain temps, une préoccupation nationale, à travers le forum national sur l’éducation. Une initiative prise par les autorités nationales du pays pour, dit-on, corriger les graves dysfonctionnements de l’encadrement scolaire. Si l’insuffisance des infrastructures et des équipement, le manque d’enseignants qualifiés, la pléthore des effectifs scolaires et la dégradation du niveau de vie et de travail des enseignants sont de plus en plus évoqués, le facteur langue, lui, semble ignoré ou même occulté dans les débats. Or, il apparaît évident que la langue constitue un élément important dans l’apprentissage de l’enfant et même dans le processus d’évolution de la communauté qui se trouve du coup handicapée quant à l’affirmation de son droit à participer plus efficacement à la gestion des affaires publiques et aussi au processus de prise de décisions concernant son avenir.
Le Forum national sur l’éducation, de ce fait, qui se prépare actuellement va-t-il enfin donner un statut aux langues nationales ou maintenir le statu quo qui a cours depuis plusieurs décennies après la réforme de 1962 ? En tout cas, au regard des missions assignées aux trois commissions des différents ordres d’enseignement, le Mali ne semble pas encore être prêt à relancer le débat sur le développement des langues nationales et leur utilisation comme outil de travail officiel. A ce sujet, le constat de l’Académie africaine des langues est sans équivoque : « Quatre décennies après les indépendances politiques, le sort réservé aux langues africaines ne fait que renforcer les inégalités face aux connaissances scientifiques, techniques et technologiques ». Aussi, constate-t-elle, ce rapport d’inégalité entre les langues officielles, héritées de la colonisation, et les langues africaines, loin de favoriser un meilleur partage des connaissances et des pratiques modernes, hypothèque toute participation de nos populations au processus de prise de décisions d’une part ; et à l’amélioration de leurs conditions de vie, de l’autre. On le voit, il est donc grand temps pour le Mali de songer à ne pas être ce pays où quand l’enfant va à l’école, il est obligé d’accéder à la connaissance et à la science dans une autre langue que celle qu’il parle dans sa famille. Aussi, comme le suggère un grand défenseur des langues nationales africaines, le justiciable doit pouvoir partout où il se trouve avoir accès à la justice dans sa langue et ne soit plus agressé par le système d’interprétariat hérité de la colonisation.
Au-delà de l’Académie africaine des langues (ACALAN), le courage politique doit conduire à la création des conditions permettant aux langues nationales, notamment transfrontalières, de devenir véritablement des outils de travail opérationnels. Le Forum sur l’éducation en préparation dans notre pays est une occasion de valoriser les langues nationales qui doivent désormais occuper toute leur place dans le système éducatif : ceux qui parlent ces langues doivent pouvoir les écrire et les utiliser en toute occasion à partir des conclusions de ce forum. Voilà l’un des challenges du prochain forum sur l’éducation qui doit tendre vers la promotion de nos langues nationales. Il s’agit là, sans aucun doute, d’une garantie de renforcement des capacités du citoyen face à ses responsabilités nationales et de l’ancrage de la démocratie.
La crise de notre système éducatif, qui fait l’objet de réflexion au niveau du comité préparatoire du Forum national sur l’éducation, est de trois ordres. On parle beaucoup de cause conjoncturelle qui tient au contexte général lié à la réalité du pays, ayant trait aux conséquences des changements politiques intervenus en 1991 qui ont entraîné l’implication des élèves et étudiants dans la gestion de l’Etat. Ce phénomène est aujourd’hui décrié, car il a accompagné d’une forte politisation de l’école. Autres raisons ciblées : les séries de réformes, la baise du niveau des enseignants, les effectifs pléthoriques dans les classes, la course effrénée vers un taux de scolarisation au détriment de la qualité. L’allègement des programmes d’examen, les grèves intempestives, la dévalorisation de la fonction enseignante, le financement du système éducatif par l’étranger sont entre autres facteurs évoqués pour expliquer la déchéance du système éducatif dans notre pays. Où est la place de l’éducation traditionnelle dans tout cela ?
Par Sidi DAO