Au centre de ce réveil : l’Association des élèves de l’Ecole normale supérieure (ADEENSUP). Cette année-là, le nouveau comité scolaire, animé notamment par Tiébilé Dramé, Samba Lamine Sow et Modibo Diallo décide, pour redynamiser le mouvement scolaire, d’organiser des conférences-débats, des activités culturelles et sportives, des journées de salubrité et de civisme. L’ENSUP était redevenue un foyer culturel caractérisé par le retour du débat politique après des années où les activités des comités scolaires se résumaient à l’organisation d’activités récréatives (notamment « l’ouverture de foyers« , bals et après-midi dansants).
Dans le cadre de cette nouvelle orientation, une troupe théâtrale a été mise sur pied avec le concours de professeurs de l’Institut national des arts (INA).
C’est dans ce contexte que Mamadu Ducuré dit Vzéro, infatigable militant de la promotion des langues nationales proposa aux dirigeants de l’ADEENSUP de jouer une pièce dont le titre était : « ni san ciènna jatè tè kalo la« , traduite par Yoro Diallo, un des responsables de la troupe : « quand la tête pourrit, le corps s’étiole » !
La pièce était une critique féroce des travers du Mali d’alors : corruption, copinage, favoritisme, népotisme. Les noms des principaux acteurs sont révélateurs : Namakôrô, Ntolofoori, Fusuku, Ntalaba, Jèninkanyimi, Foytè, Putèrè… !
Elle fut jouée pour la 1ère fois dans la salle des spectacles du Stade Omnisports en avril 1977. Les spectateurs, en majorité, élèves et étudiants quittèrent la salle en scandant « ENSUP, c’est vrai ! ENSUP, c’est vrai ! ! ».
Le lendemain de cette 1ère représentation, le Directeur Général de l’ENSUP, M. Adama Sissoko (qui avait prêté à la troupe les meubles de son épouse) et son adjointe, Mme Keïta Rokiatou N’Diaye furent convoqués au cabinet du Ministre de l’Education. On leur demanda des explications. On leur reprochera de ne pas avoir réuni à temps « une commission de censure dont ils ignoraient l’existence ! », (dixit Adama Sissoko).
La pièce fut interdite !
La deuxième représentation prévue quelques jours plus tard dans l’amphithéâtre de l’ENSUP n’aura pas lieu du fait d’une coupure d’électricité !!!
En juin 1977, le président Modibo Keïta meurt en détention, au camp des parachutistes de Jikoronin, dans des circonstances non encore élucidées. Son enterrement donne lieu à une gigantesque procession funèbre suivie de manifestations hostiles au régime militaire.
La réaction du Comité militaire est brutale : de nombreuses arrestations (suivies de tortures) sont opérées dans les rangs des anciens compagnons du défunt président, des syndicalistes, des étudiants et des patriotes. Parmi les détenus : le Directeur de l’ENSUP qui doit s’expliquer à nouveau sur la pièce jouée par ses étudiants quelques semaines plus tôt.
« Ni san ciènna, jatè tè kalo la » aura tous les honneurs quelques mois plus tard. Elle sera jouée, sur l’initiative du nouveau ministre de la jeunesse, des arts et de la culture, Alpha Oumar Konaré, à l’ouverture de la biennale artistique et culturelle de 1979. Dans la salle Omnisports. Au 1er rang des spectateurs : le président Moussa Traoré et son épouse, les membres restants du CMLN, les membres du Gouvernement. C’était après les événements du 28 février 1978. La salle archicomble a applaudi les acteurs comme lors de la 1ère représentation.
Cette représentation-là fut retransmise intégralement sur les ondes de Radio-Mali! Les acteurs ? Des militants et dirigeants du mouvement étudiant : Modibo Diallo (Ntolofori), Samba Diallo (Putèrè-Foytè), Madama Bouaré (Jeninkannyimi), Moussa Makan Camara (Ntalaba), Abdoul Karim Camara (Cabral) (Bilankalama), Georges Diawara, King Sakura, Fousseyni Bouaré (Namakoro), Sékou Sogoré, Fatoumata Coulibaly (Heynba), Thérèse Samaké (Sira)…
33 ans après, « Ni san cienna jatè tè kalo la » a été éditée par Cauris Editions et Makdas grâce au soutien de l’Organisation Internationale de la francophonie.
En cette année du Cinquantenaire, elle est un témoignage du combat d’une génération mais aussi de la longue lutte de Vzéro et de bien d’autres patriotes pour la promotion de nos langues nationales.