Les diplômés des sections sociologie- anthropologie de l’université de Bamako, sont dans une République spécialisée à briser des carrières et à former des condamnés à une vie ternie.
Aujourd’hui, le calvaire que vivent les diplômés des Sciences sociales, particulièrement ceux de la Section Sociologie-anthropologie de la FLASH (Faculté des Lettres, Langues, Arts, et Sciences Humaines) est indescriptible ; tant ces jeunes souffrent d’un type chômage qui ne dit pas son nom.
Pour rappel, l’Université de Bamako, héritière de l’Université du Mali, a été créée en 1996. Elle a ouvert ses portes avec un certain nombre de facultés dont la Flash. Au sein de la Flash, de nouvelles sections (comme la sociologie/anthropologie) ont été créées.
Dans l’euphorie, nombre d’étudiants ont choisi de poursuivre leur cursus universitaire dans ces nouvelles sections qu’ils pensaient être prometteuses. Mais leur enthousiasme fut de courte durée. D’années en années, ils ont réalisé que rien n’est prévu pour eux, quant à leur employabilité dans les corps de la Fonction publique de la République du Mali. Et pourtant, les informations glanées ça et là dans le livret d’information de la dite Faculté font état de possibilités pour les diplômés de ses sections d’accéder aux concours de la Fonction publique (cf. http://www.ml.refer.org/u-bamako/spip.php?article115).
Que s’est-il passé ?
Depuis six ans, les diplômés de ces sections ne sont plus autorisés à concourir. La raison est toute simple. Les concours de la Fonction publique ne concernent que les seuls détenteurs d’un diplôme de type INFTS (l’Institut national de Formation des Travailleurs sociaux) pour les corps des administrateurs sociaux. Et pourtant, que ce soit à l’INFTS ou à la section sociologie anthropologie, ce sont presque les mêmes disciplines qui y sont enseignées.
Pourquoi tant de discriminations à l’égard des diplômés de la sociologie anthropologie ? Qu’ont-ils fait pour mériter ce destin qu’on leur impose ? N’ont-ils pas les mêmes droits que les autres diplômés ?
Au niveau de la Fonction publique, ils se sont déjà résignés depuis belles lurettes. Les sortants de ces sections savent que leur avenir est incertain ; et personne n’exprime plus d’enthousiasme à l’annonce des recrutements.
Les seuls qui sont recrutés dans les corps de la Fonction publique, sont ceux-là qui se sont débrouillés à faire des études postuniversitaires de Master 2. Combien parmi ces jeunes ont les moyens de continuer les études dans les pays occidentaux où les conditions d’immigrations sont difficiles ?
C’est bien une minorité qui peut se donner les moyens de continuer les études dans un pays où avoir à manger trois repas dans la journée est un luxe.
Et tout récemment, la Nouvelle ENA (Ecole Nationale d’Administration) est créée. Mais, allez-y voir, rien n’est prévu pour eux. Comment peut-on former des jeunes et ne jamais songer à leur réinsertion, ni à leur formation post-études ? A quoi servent des structures comme l’APEJ (Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes) ?
L’ISFRA (Institut supérieur de Formation et de la Recherche appliquée) qui est une école de formation post-universitaire, est devenue une mafia. Parce que les conditions d’accès sont taillées à la faveur d’une élite, voire d’une nomenklatura. Là aussi, les conditions d’accès sont si difficiles pour un jeune diplômé sans emploi, et aucune possibilité claire d’accès n’est énoncée pour ces derniers.
Dans les promotions de DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies), il n’y a pas plus de deux jeunes, et ceux qui y ont accédé en tant que jeunes diplômés, ont dû faire beaucoup d’acrobaties, ou ont dû faire des concessions qui jurent souvent avec l’éthique et la déontologie propres à l’enseignement.
Si rien n’est fait rapidement, certaines filières de formation de l’Université de Bamako fermeront sous peu. Parce que ceux qui sont formés à l’ISFRA pour venir assurer la relève, sont à quelques années de la retraite. Il y a des professeurs qui ne feront pas plus 4 ans en activité. Et pourtant ce sont eux qui sont prioritaires, quant à l’accès à l’ISFRA. Alors que des jeunes de 22 ans voire 26 ans qui sortent fraîchement des facultés peuvent assurer la relève.
Mais pour qui connaît ce pays, ce sont des situations qui ne doivent point étonner dans une République où seuls la gabegie, le laxisme, le népotisme, et la culture de la médiocrité font légion.
Quelle aberration de créer un institut universitaire, un pôle de savoir, et de le fermer aux jeunes, bâtisseurs de la nation ? Vous ne verrez nulle part dans ce monde du 21è siècle un institut universitaire qui a pour vocation de former prioritairement des fonctionnaires. Et pis, l’ouverture des DEA se fait à la volonté des chefs de département qui se font plier souvent pour leur ouverture. Il se passe dès fois 3 à 4 ans sans qu’un DEA ne soit ouvert dans une spécialité. Et pourtant, l’État a octroyé des moyens pour cela.
Ceux qui sont chargés de former sont-ils devenus paresseux ? Pourquoi attendent-ils trois à quatre ans pour quelque chose qui doit se faire tous les deux ans ?
En somme, les sortants de la sociologie/anthropologie ne peuvent prétendre à aucune possibilité d’emplois ou de formation venant de l’État, garant de la justice sociale et de la cohésion sociale.
La seule aubaine qui leur soit offerte par l’État, à l’heure actuelle, est l’octroi des postes de volontaires de l’Apej (Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes). Cela se comprend aisément quand on sait que ce sont des emplois bons marchés. Là où le bas blesse, c’est prétendre former quelqu’un pendant un an sans lui garantir une possibilité de réinsertion.
Que va-t-il devenir après son stage de qualification ?
Nous disons former, nous rectifions ; non, s’ils sont formés ce n’est qu’à faire du thé ou à faire des commissions pour les responsables des départements dans lesquels ils sont affectés.
Demandez à un ancien bénéficiaire du stage de l’APEJ, qu’est ce qu’il a appris ? Vous serez bien entendu déçus de sa réponse. Sommes-nous dans un État sérieux ? Un État qui crée des sections sans au préalable penser aux conditions d’employabilité de ceux qui vont sortir de ces filières est-il responsable ? La création de ces sections n’a-t-elle pas été un gâchis ?
Si aujourd’hui les sortants des sciences sociales et humaines ont pu bénéficier 1400 places sur 2000 offertes, c’est grâce à la pression de l’AMIP-SSH (l’Association Malienne pour l’Insertion Professionnelle des Diplômés en Sciences Sociales et Humaines). C’est le résultat d’interpellations depuis 2008 que les 1400 places ont été possibles aujourd’hui. Mais ce n’est pas suffisant.
A quoi bon de former des milliers de jeunes pour ne leur accorder que des stages de qualification ? Est-ce suffisant pour leur bien-être ?
Egalement, il faut dire que cette association se trompe de combat quand elle ne se bât pour acquérir que des stages de qualification. Les stages de l’APEJ ne sont que des cadeaux empoisonnés récupérés politiquement sans qu’ils ne fassent le bien-être des bénéficiaires.
Qu’est ce que ces jeunes deviendront après leur stage ? Que feront-ils pour vivre ?
Beaucoup se sont tournés vers l’enseignement ou vers le monde des ONG.
Ce sont des mercenaires des écoles secondaires privées. Ils enseignent un peu de tout (philosophie, histoire, géographie, lettres, musique, dessin). D’autres n’ont aucune aptitude à enseigner. Mais ne les en voulez pas, ils doivent vivre. Les promoteurs d’écoles privées, sachant bien qu’ils n’ont pas de profil à enseigner, violent leurs droits.
Ne leur demandez pas s’ils sont bien traités au niveau de ces écoles. Leur calvaire se résume aux salaires impayés, aux retards de salaires, etc.
L’ENSUP (Ecole normale supérieure) qui a vocation de former les enseignants du secondaire leur est fermée. La raison que les responsables de cette école avancent depuis 2005 est que les étudiants de la sociologie et anthropologie n’ont pas une filière de formation correspondant au niveau de l’ENSUP. Et pourtant avant 2005, ils étaient autorisés à passer le concours d’entrée à l’ENSUP pour devenir des professeurs de philosophie.
Dans un passé récent, certains étudiants de la sociologie et anthropologie se sont illustrés à devenir majors de leur promotion respective avec les rudiments de philosophie qui leur sont enseignés en DEUGI et II (Diplôme d’Etudes Universitaires Générales I et II).
Pourquoi depuis 2005 ne sont-ils plus autorisés à concourir ?
Ce sont des secrets de Dieu que nous n’avons pas les moyens de découvrir ici. Tout compte fait, ce sont des injustices qui doivent être dénoncées, même si leur dénonciation ne sera pas suivie d’effets.
Il y a une deuxième catégorie qui s’est tournée vers le monde du développement que nous nous plaisons souvent à caricaturer de ‘’monde du sous-développement et de la dépendance ».
Les sortants de la sociologie/anthropologie sont employés dans les ONG pour des contrats de 6 mois, d’un an voire 3 ans. Ils enfourchent des bécanes, ils animent des séances de formations à l’intention du monde rural. Ils ont des contrats au contenu flou (des contrats sans sécurité sociale) ; et pis le salaire qu’on leur propose, dans une large mesure est dérisoire.
Après deux ans, ils retombent dans le chômage et dans la précarité. Enfin, il y a une grande majorité de ces diplômés qui gagnent leur vie dans la débrouillardise. Ils s’adonnent à de petits métiers comme le commerce, les aide-maçons ; ils font un peu de tout quoi !
De telles filières doivent-elles continuer à former des étudiants ?
C’est cela le MALI, le MALI à nous tous, et c’est bien cela le quotidien des diplômés de la sociologie/anthropologie.
En conclusion, les diplômés de la section Sociologie/anthropologie de la Flash ‘‘Ni aw lara, aw sara » (je reprends ici une formule chère au regretté Joseph Ki Zerbo), parce vous êtes dans une République spécialisée à briser des carrières et à former des condamnés à une vie ternie. Vous devez savoir que si vous ne vous battez pour vos droits, vous serez mangés dans une sauce que vous n’avez pas préparée.
Abdrahamane B. SAMAKE