Les prises d’otages faites par Al Qaïda au Maghreb islamique(AQMI) relèvent d’un commerce qui rapporte gros aux anciens groupes armés du désert. Ainsi, parallèlement au glissement du centre de gravité de l’activité terroriste régionale vers le Sahel, on constate l’émergence d’indices révélateurs de liens entre l’AQMI et des éléments du Front Polisario.
Une des premières illustrations remonte à décembre 2003, lorsque les services de sécurité mauritaniens ont arrêté Baba Ould Mohammed Bakhili, un cadre du Front Polisario, et plusieurs de ses lieutenants, sympathisants du mouvement indépendantiste sahraoui, pour leur implication dans le vol d’explosifs dans les locaux de la Société nationale mauritanienne de l’industrie minière (SNIM).
Bien que la SNIM ait été la cible du Polisario à plusieurs reprises dans les années 1970, la nature du matériel dérobé a suscité de nombreuses interrogations.
Les 153 bouteilles de produits inflammables et les quelque 12 kilomètres de fil utilisé pour des explosions télécommandées retrouvés dans la ville mauritanienne de Zérouate ne font en effet pas partie du matériel utilisé habituellement par les guérillas mais plutôt par des organisations terroristes désireuses de fabriquer des bombes.
Alors que les mobiles exacts de ce groupe demeurent inconnus, on peut se demander si cette opération était destinée à permettre au groupe de préparer des attentats ou s’il désirait vendre ces produits à des groupes islamistes radicaux présents dans le Sahara.
Mais des indices plus probants ont émergé à l’occasion de l’attaque menée le 4 juin 2005 par AQMI, alors appelé GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) contre une caserne des forces de sécurité mauritaniennes à Lamghiti. L’opération, conduite par Mokhtar Belmokhtar, un cadre du GSPC, et à laquelle plus d’une centaine d’hommes a participé a fait au moins 15 morts et 17 blessés.
Cette affaire renforça les doutes existant à propos d’une collaboration entre des membres du Front et des groupes islamistes radicaux. En fait, des véhicules du Polisario ont participé à cette attaque menée par le prédécesseur de l’AQMI. De plus, selon plusieurs témoins, certains des assaillants s’exprimaient en hassani, un dialecte parlé en Mauritanie et au Sahara occidental.
Depuis quelques années, on a également relevé un intérêt certain d’AQMI pour le Front Polisario, qui est devenu un des principaux bassins de recrutement de l’organisation terroriste.
L’opportunité que représentent les camps du Polisario pour une organisation comme AQMI a également été soulignée par Michael Braun, ancien directeur des opérations de la DEA (Drug Enforcement Agency), l’agence américaine de lutte antidrogue. « Les jeunes âgés entre 16 et 25 ans sont spoliés de leurs droits et vivent dans des conditions abjectes et sans espoir d’un lendemain meilleur. estimé Braun.
Les organisations terroristes puissantes telles Al-Qaïda au Maghreb islamique sont des experts en matière de détection de personnes présentant de tels signes de vulnérabilité. Ainsi, les camps de Tindouf représentent une mine d’or potentielle pour les recruteurs de groupes comme AQMI », a
Citant des sources sécuritaires locales, le quotidien algérien El Khabar faisait état, en juillet 2008, de la présence de plusieurs individus issus du Sahara occidental dans les camps d’entraînement d’AQMI situés près de la frontière avec le Mali.
Dans le même temps, la presse marocaine révélait que des membres de l’organisation terroriste écumaient les camps du Polisario, notamment ceux de Tindouf, dans le but d’enrôler de nouveaux éléments rompus aux techniques de combat dans le désert. Elle estima même à 265 le nombre des anciens du Polisario qui auraient rejoint AQMI.
Un an plus tard, au début du mois de septembre 2009, c’est le site arabophone Algeria Times, souvent très bien informé, qui révélait que l’AQMI aurait recruté « plus de 200 jeunes musulmans européens, américains et canadiens » pour les envoyer dans des camps d’entraînements du groupe radical somalien al-Shabaab.
Et le site de mettre en exergue le rôle important joué dans le recrutement de djihadistes en Europe par « d’anciens membres du Polisario » reconvertis dans l’islamisme radical et dirigeant des réseaux logistiques en Espagne.
Alors que les indices sur la collusion entre des membres du Polisario avec le terrorisme islamiste sont déjà nombreux, l’enlèvement de trois humanitaires espagnols en novembre dernier témoigne de l’ampleur du phénomène en mettant en évidence le glissement de certains cadres du mouvement indépendantiste sahraoui vers le terrorisme.
En effet, le 29 novembre 2009, trois ressortissants espagnols de l’association catalane Barcelona Accio Solidaria étaient kidnappés dans le nord-ouest de la Mauritanie. Leur convoi, qui transportait de l’aide humanitaire en provenance de Barcelone, a été attaqué par des hommes armés sur la route entre Nouadhibou et Nouakchott, à environ 170 kilomètres de la capitale mauritanienne.
Selon la presse, les ravisseurs ont tiré à plusieurs reprises pour faire stopper la caravane composée de plusieurs véhicules. Ils ont ensuite embarqué les trois humanitaires, qui se trouvaient dans une voiture en queue de convoi, dans un pick-up et ont quitté la route goudronnée afin de s’enfuir par des pistes sablonneuses à travers le désert.
AQMI revendiqua le kidnapping des Espagnols, en même temps que celui du Français Pierre Camatte, au début du mois de décembre dans un message diffusé par la chaîne de télévision Al Jazzera.
Par la suite, l’affaire éclabousse le Polisario. L’enquête des services de sécurité mauritaniens pointe un doigt accusateur sur Omar Ould Sid’Ahmed Ould Hamma, dit « Omar le Sahraoui », dont les services auraient été loués contre de l’argent par Mokhtar Belmokhtar, émir de l’AQMI dans le Sahel.
Terrorisme et trafic
Omar le Sahraoui, âgé d’une cinquantaine d’années, a été arrêté en février 2010 près de la frontière avec le Mali et inculpé fin mars par le parquet de Nouakchott pour « atteinte délibérée à la vie de personnes, leur enlèvement et leur séquestration, conclusion d’accord contre compensation aux fins de disposer de la liberté d’autrui ».
Or, selon le quotidien espagnol ABC, Omar le Sahraoui est un ancien cadre du Front Polisario, qui a « formé une partie de l’organigramme » du mouvement. N’étant pas membre à part entière de la cellule de Belmokhtar, cet « homme du désert » a mis sa connaissance du territoire et « son expérience au service des terroristes et autres trafiquants de drogue et d’autres produits de contrebande comme le tabac ».
D’après des sources proches de l’enquête citées par ABC, il aurait également été chargé de fournir à l’AQMI les véhicules nécessaires pour échapper aux raids des forces de sécurité mauritaniennes et traverser la frontière avec le Mali.
Par ailleurs, d’autres membres du Front auraient également été arrêtés avec Omar le Sahraoui, en relation avec l’enlèvement des trois humanitaires espagnols. En effet parmi la vingtaine de personnes inculpées dans cette affaire, certaines seraient des militaires en exercice du Polisario.
On trouve parmi eux Mohamed Salem Mohamed Ali Ould Rguibi, âgé d’environ cinquante ans, et Mohamed Salem Hamoud, à peine âgé de vingt ans, opérant tous deux dans la quatrième région militaire, dite « M’heriz », basée à Tindouf. Nafii Ould Mohamed M’Barek, la quarantaine, qui opérait dans la septième région militaire avant de se lancer dans la contrebande et le trafic dans le nord de la Mauritanie, figurerait également parmi les personnes inculpées par la justice mauritanienne.
Cette affaire est une parfaite illustration des dérives qui se multiplient dans la région et montre la diversité des liens qui existent entre le Polisario et l’AQMI, dans la mesure où ce rapprochement ne répond pas à un modèle unique.
En effet, si on a vu que des jeunes Sahraouis désœuvrés pouvaient se laisser séduire par l’idéologie de l’AQMI, ce dernier exemple montre que des membres actifs du mouvement, à la recherche de revenus complémentaires, peuvent basculer dans le terrorisme après être vraisemblablement passés par diverses formes de trafic.
C’est également l’illustration de la complexité des enjeux sécuritaires de la région où il devient de plus en plus difficile de distinguer les terroristes des trafiquants en tout genre.
Cette collusion entre terrorisme, trafic d’armes et de drogues, et membres anciens ou actuels d’un mouvement indépendantiste en décomposition a permis le développement de ce qui est présenté par l’Institut Thomas More comme une « industrie hybride de l’enlèvement » qui, grâce au paiement de rançons, finance le terrorisme et les activités d’AQMI dans toute la région.
Soumaïla T. Diarra