Jamais au Mali, un dossier de privatisation d’une entreprise publique n’a suscité autant de débats que celle de la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT). Depuis bientôt une décennie, le sujet reste toujours d’actualité. Pour une fois, la classe politique, les syndicalistes, les citoyens de tous les bords et les producteurs cotonniers ont parlé le même langage en s’opposant à la privatisation de ce géant du coton malien. Mais, nonobstant les oppositions, les élus de la nation ont accordé leur soutien à la privatisation, en votant la loi en cette faveur. Pourquoi ? Ont-ils raison ? Que savent les élus et que certains se refusent à voir ? Le débat est ouvert.
Cependant, il y a lieu de souligner les récurrents remous qui entourent les dossiers de privatisation dans notre pays, depuis près de trois décennies. Ils ont toujours fait l’objet de vives tensions et alimenté la gamelle des hommes politiques et certains syndicalistes, le plus souvent en manque d’inspiration.
Mais force est de reconnaître que ces marchands d’illusion ne s’accrochent en général qu’aux contingences et occultent les causes, faisant payer ainsi aux honnêtes citoyens la mauvaise gestion d’une aristocratie élitiste et le vol d’une classe ouvrière perpétuellement soumise à la tentation. Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, le moment semble donc venu de s’interroger sur les origines profondes des privatisations. Il faut que cesse désormais dans notre pays l’accusation, fallacieuse et infondée, des autres sur une faute commise par soi-même.
Aujourd’hui, on parle de la CMDT. Jetons un regard rétrospectif sur les motifs des précédentes privatisations. Par exemple, à la Régie des chemins de fer du Mali, lorsqu’elle était encore dans le giron de l’Etat, ce sont certains mécaniciens voyous et leurs apprentis qui vidaient les réservoirs des trains pour vendre le gas-oil aux fabricantes de poudre de bois mélangée, qui est utilisée par les femmes dans la cuisine, comme allume-feu.
La plupart de ces petites unités de fabriques étaient installées au vu et au su de tout le monde dans les environs du dépôt de Darsalam, derrière l’ex-école de formation des cheminots. Personne, jamais, n’a trouvé à y redire et à dénoncer les pratiques frauduleuses à la base de leurs activités.
Pareillement, dans les usines de HUICOMA, aussi bien à Koulikoro qu’à Koutiala, la même pratique était courante. Les produits semi-finis étaient frauduleusement extraits pour être vendus aux fabricant(e)s de savon artisanal disséminés à travers les deux villes. De la même manière, ces petits voleurs se permettaient de spolier l’entreprise des produits finis pour les vendre sur le marché noir. Ne dit-on pas que « sans HUICOMA, Koulikoro ne serait rien« .
Nul n’ignorait cette pratique frauduleuse, mais personne n’a levé le petit doigt pour la dénoncer, tout en sachant qu’elle peut à la longue tuer l’entreprise. Mais bien au contraire, l’on a fermé les yeux et laissé faire. La faillite de nos entreprises publiques ne doit surprendre personne. Faut-il, à ce stade, remuer le couteau dans la plaie (de nos lâchetés collectives) et rappeler le sort qui fut celui de la SOMIEX, d’Air Mali, et de tant d’autres sociétés et entreprises publiques ?
Une hypothèse toute simple nous permettra de comprendre le phénomène. Par exemple, dans une entreprise quelconque, si un ouvrier se permet de prendre frauduleusement chaque jour un produit de fabrication, en une année, il prendra 365, et multiplions ce nombre par « x » ouvriers ou agents, et faisons la déduction, on se rendra compte que la perte accroîtra de façon exponentielle.
Quelles que soient donc les compétences managériales du directeur d’une telle entreprise, si tout le monde (cadres, direction et ouvriers) ne regarde pas dans la même direction, toute stratégie de développement est vouée à l’échec. De tels exemples peuvent se multiplier à l’infini dans notre pays. L’on ne s’attardera donc pas sur cet exercice qui, on le sait, ne nous mènera nulle part.
Comme l’a dit un journaliste du quotidien national « L’ESSOR« , il ne s’agit plus de pleurnicher sur son sort, il faut agir en étant plus imaginatif pour éviter au géant du coton de mourir de sa belle mort.
Effectivement, le changement de statut de la CMDT ne doit nullement affecter le moral des travailleurs, encore moins des producteurs. Tout au contraire, il doit être un stimulant pour les acteurs de la filière afin d’y imprimer une nouvelle dynamique. Mais, cette relance passe nécessairement par une revalorisation de la graine de coton, qui est un produit utilisable à 100%. Elle contiendrait 25 % d’huile, 60 % d’aliment bétail et le reste peut être utilisé dans la fabrication du savon.
Aussi, le ou les futurs acquéreurs des différentes usines de la CMDT devront axer leur effort de marketing sur la transformation de la graine de coton pour redorer l’image de leur nouvelle entreprise. L’expérience prometteuse de la filière arachide lancée dans la zone sud-est de notre pays (Kita, Kéniéba, Kolokani et Bafoulabé et une partie du cercle de Kayes) a pris un sérieux coup dans les années 70 suite à une campagne de sabotage dirigée par de puissants lobbies capitalistes qui ambitionnaient à l’époque de substituer l’huile de soja à celle de l’arachide.
La SEPAMA, qui avait été construite pour exporter le produit semi fini vers l’Allemagne a été contrainte de mettre la clé sous le paillasson, après une ou deux années seulement de campagne.
Malgré la fermeture de cette usine, la production arachidière ne s’est jamais arrêtée, au contraire, elle a été renforcée par la culture de mil et sorgho et d’autres spéculations, grâce à la prouesse de l’Office du développement intégré de la production arachidière et céréalière (ODIPAC). Avec l’appui de l’État, les populations se sont montrées plus inventives en montant des petites unités de fabrique de patte d’arachide, qui étaient disséminées à travers la ville de Kita.
Augmenter le niveau de production
Concernant la CMDT, notre pays doit maintenant revoir ses objectifs de production cotonnière en maximisant nécessairement la part économique de la graine dans le produit intérieur brut.
Cela va sans dire qu’il faut maintenir, sinon augmenter, le niveau de production du coton. Avec un potentiel aussi élevé comme le nôtre dans le secteur de l’élevage, le Mali peut grandement tirer profit de la transformation de la graine de coton pour en extraire de l’aliment pour bétail. Notre pays figure parmi les pays les plus nantis dans le secteur de l’élevage dans la zone de l’Union économique monétaire ouest africaine (UEMOA). Le potentiel est estimé à plus de 7 312 500 bovins, 8 030 800 ovins, 11 400 190 caprins, 726 000 camelins.
Le secteur emploie près de 80% de la population. Le secteur représente la principale source de revenus pour plus de 30% des Maliens. Presque tous les ménages possèdent un mini parc dans les campagnes et même dans les centres urbains. La contribution du secteur au PIB varie suivant les années entre 10 et 12% et son apport aux recettes d’exportation entre 30 et 35 milliards de FCFA, soit 9 à 15% du total des exportations. Il occupe la troisième position après l’or et le coton.
Mais ce potentiel est soumis aux aléas climatiques qui déciment des troupeaux entiers dans certaines régions de notre pays. Traditionnellement, les bêtes se nourrissent du pâturage, mais avec le changement climatique, les zones d’élevage se dessèchent d’année en année, obligeant les éleveurs à émigrer vers le sud.
Or, il est avéré que la transhumance est à la fois source de dégradation de l’environnement, mais aussi et surtout de conflits entre les communautés (nomades et paysans sédentaires). Ces conflits se terminent le plus souvent dans des bains de sang, avec malheureusement mort d’hommes. Avec un peu d’effort, on peut faire économie de cette souffrance, en utilisant l’aliment pour bétail. Ce substitut aux fourrages (herbes ou paille) est insuffisamment produit à ce jour par nos unités industrielles, faute de graines disponibles.
La baisse de la production du coton, ces dernières années a entraîné dans son sillage la baisse du stock de graine de coton, principale matière première dans la fabrication de l’aliment pour bétail et de l’huile au Mali. Durant la campagne 2006/07, la CMDT n’a produit que seulement 200 000 tonnes de graines contre un besoin national oscillant entre 700 à 800 000 tonnes de graines.
Le développement de la filière aliment pour bétail pourra aider nos éleveurs à moderniser leur système de production avec une forte valeur ajoutée. Dans un passé récent, Bamako et ses agglomérations étaient ceinturées par une multitude de fermes agricoles qui approvisionnaient la ville en lait et en viande de qualité.
Ces petites unités de production ont beaucoup contribué à améliorer la qualité de l’alimentation, assurer, un temps soi peu, la sécurité alimentaire durable, et à la création d’emplois et de richesse dans la capitale. Elles approvisionnent, ainsi la capitale en viande de bœufs d’embouche et du lait.
Or, est-il besoin de rappeler que depuis trois ans, notre pays connaît des difficultés d’approvisionnement en produits alimentaires, tels l’huile, le lait et la viande. Les bœufs sont actuellement vendus à prix d’or, oscillant autour de 100 000 et 150 000 Fcfa en temps normal. En temps de forte demande, le prix peut atteindre 200 à 300 000 Fcfa. Le Mali exporte aussi le bétail sur pieds dans les pays de la sous-région. Car, pour toute la capitale, il n’y a que deux abattoirs modernes qui approvisionnent la capitale en viande.
Mais, ces abattoirs ne disposent de compétences techniques et de conditionnement de la viande destinée à l’exportation. Le développement des fermes agricoles pourrait donc donner un coup d’accélérateur à celui de l’industrie de transformation de la filière bétail viande. Le plateau technique à ce niveau aussi demeure faible. Il ressort ainsi des statistiques de la Direction nationale du commerce et de la concurrence (DNCC), que 41 475 têtes ont franchi nos frontières l’année dernière.
Dans les villes de l’intérieur, la filière avait commencé à s’organiser autour des grands centres urbains et un système de collecte de lait avait commencé à se mettre en place pour approvisionner en son temps, l’unique laiterie de notre pays « Mali-Lait« . Mais, actuellement autour de cette unité, gravitent une multitude d’unités laitières pour approvisionner le marché de la capitale. Mais, nonobstant ce foisonnement, le besoin demeure entier. Durant les quatre dernières années, notre pays a importé, environ 40 milliards de Fcfa de produits laitiers, selon les statistiques de la DNCC.
Production cotonnière
Outre la production de l’aliment bétail, le changement de statut pourra également donner une nouvelle impulsion à la production d’huile dans notre pays. En mettant l’accent sur la production de la graine de coton, le Mali peut produire une quantité suffisante d’huile destinée à la consommation domestique et à l’exportation. L’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA) lorsqu’elle fonctionnait à plein régime pouvait transformer 1 350 tonnes de graines de coton par jour, dont 700 t/jour à Koutiala, 500 t/jour à Koulikoro et 150 t/jour à Kita.
Autour de l’HUICOMA gravite légalement à ce jour, une quinzaine d’unités de production « légère », disséminées dans les régions de Sikasso, Ségou et Koulikoro. La capacité de production de ces différentes usines dépassent de loin notre besoin de consommation domestique, estimé en 2007 à 74 265,25 tonnes et à 76 275,93 tonnes en 2008, selon la direction nationale de la statistique et de l’informatique (DNSI).
Mais, l’inquiétude demeure du côté de la production cotonnière, qui recule depuis près d’une décennie. Alors que notre pays s’était hissé au premier rang des grands producteurs d’or blanc en Afrique, devant l’Égypte en 2003/04, avec une production estimé à plus de 600 000 tonnes de coton et de meilleure qualité. Mais, depuis près d’une décennie, la filière a subi de plein fouet les fluctuations récurrentes des cours des matières premières sur le marché mondial. Ainsi, de nombreux producteurs se sont retirés de la filière.
En conséquence, la production du coton a fortement reculé pour se situer à moins de 100 000 tonnes durant les trois dernières campagnes. La baisse de la production cotonnière a tiré vers le bas, celle de la graine, qui sert de matière première dans les industries de transformation.
S’agissant de l’HUICOMA, par exemple, sur une prévision de 600 000 tonnes de graines de coton en 2007, elle n’a engrangé que 91 000 tonnes, une quantité équivalente à seulement 2 mois de fonctionnement. Une évaluation des besoins par unité de production, effectuée par la direction générale de l’entreprise a révélé que HUICOMA Koutiala ne pouvait recevoir que 54 800 tonnes soit (1 mois de production).
Elle a donc décidé de concentrer ses efforts de production sur l’usine de Koulikoro. Les 54 800 tonnes qui devraient être transformées à Koutiala, ne suffisaient pas pour couvrir ses charges de fonctionnement encore moins payé le salaire des travailleurs, a expliqué la direction à l’époque.
La fermeture des deux usines de HUICOMA, à Kita et Koutiala, a donc constitué un manque à gagner considérable pour l’entreprise et une énorme perte pour l’économie nationale et les consommateurs maliens, qui ont été contraints de consommer l’huile importée plus onéreuse.
Le chiffre d’affaires de HUICOMA qui était d’environ 26 milliards avant la privatisation est retombé à 6 milliards, soit plus de 20 milliards de déficit à cause de la baisse de la production du coton. Il faut donc, comme l’a dit le journaliste, un changement de vision au niveau des producteurs, pour remettre la production cotonnière sur selle. Il faut que notre pays reprenne sa place de leader des pays producteurs de coton sur le continent.
Le coton malien ne doit pas mourir, parce que la CMDT a changé de mode de gestion. Pour une fois, positivons le changement. Il faudrait cependant que ce changement se fasse en plaçant les producteurs au cœur du processus. Là se situe tout le challenge qu’il nous revient de relever, pour que le coton malien continue de profiter au peuple malien.
MODIBO T.