Alors que des travailleurs de l’HUICOMA assiègent la Bourse du travail de Bamako pour réclamer un plan social, la pression s’accentue sur l’État. Des politiques et membres d’organisations de la société civile se mêlent de la partie en demandant des comptes sur le bilan des privatisations.
La Bourse du travail de Bamako où sont réunis des travailleurs de HUICOMA, une entreprise spécialisée dans la production d’huile et d’aliments bétail, rappelle fort un camp sinistré.
Entre les dortoirs, des tentes dressées çà et là, 264 travailleurs de l’entreprise passent toute la journée à converser sur leurs déboires. « Nous vivons ici depuis 8 mois et quelques jours. Les gens sont dans des conditions difficiles, même l’alimentation est un problème. Mais c’est pour nos droits que nous acceptons de souffrir ainsi », a expliqué Bakary Berthé, le président du collectif des travailleurs de HUICOMA.
Parlant des motifs de leur longue grève, les travailleurs laissent entendre qu’ils ne sont pas payés depuis des années et que plus de 400 personnes ont été licenciées en une seule journée par le groupe Tomota (actionnaire majoritaire). « Le problème est que l’entreprise a été privatisée sans un plan social. C’est la faute de l’Etat, car il n’a pas suivi de près le repreneur qui devrait faire un plan social dans les 60 jours qui ont suivi la privatisation, sous peine d’être sanctionné de 10 pour cent de la masse salariale », a dit Berthé.
Depuis la privatisation de HUICOMA en 2005, les problèmes se sont multipliés et aujourd’hui les usines ne fonctionnent plus. « Il n’y a rien à faire comme travail dans les usines. Je suis venu de Koulikoro pour être solidaire des autres travailleurs. C’est partout pareil, les gens sont venus de toutes les localités du pays pour la même raison », a déclaré Moussa Doumbia.
A partir du début des années 90, le Mali s’est engagé, à l’instigation de la Banque mondiale, dans une politique de privatisation des entreprises publiques. Bien que cette politique n’ait pas encore fait l’objet d’une évaluation formelle, comme résultat elle a parfois conduit à des drames sociaux. « Dans le lot des travailleurs de HUICOMA, il y a eu plus de 100 cas de divorce ; des familles ont été disloquées, des enfants se sont trouvés confiés à d’autres personnes pour qu’ils puissent étudier, certains sont obligés d’abandonnés l’école », a déploré le président du collectif des travailleurs.
Au total, le Mali a privatisé jusqu’ici une vingtaine d’entreprises publiques. Un géant de l’économie nationale, la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT), est aussi en passe d’être privatisée. Mais c’est plutôt le coût humain de ces privatisations qui inquiète les organisations de la société civile.
La Coalition des alternatives dettes et développement (CAD-Mali) a ainsi organisé des manifestations populaires à Bamako fin juin 2010 pour dénoncer la politique libérale du Mali. « Les entreprises publiques qui ont été privatisées ont toutes échoué. Maintenant, la question est de savoir ce qu’il faut faire pour les sauver. A mon avis il faut une solution politique, car les repreneurs sont des marionnettes au service de groupes financiers », a estimé Moussa Koné, membre de l’Union pour la protection des droits des démunis (UPDD), une ONG locale.
Récemment, le combat pour le droit des travailleurs de HUICOMA et l’arrêt des privatisations s’est transporté sur le champ politique. Un député de l’opposition, Dr. Oumar Mariko du parti SADI, interpellant le ministre de l’économie et des industries le 2 juillet laissait entendre : « L’Etat n’est pas en train de construire une économie nationale en privatisant les entreprises publiques au profit des unités industrielles d’ailleurs. La solution qui vaille est de retirer HUICOMA au groupe Tomota et de ré nationaliser les entreprises privatisées ».
Pour le gouvernement, l’échec dont parlent l’opposition et les organisations de la société civile reste à prouver. Réagissant aux critiques du député de l’opposition, Amadou Abdoulaye Diallo, le ministre de l’économie et des industries affirmait en substance :« Ce n’est pas exact de dire que notre politique ne construit pas une industrie nationale. Nous voulons ouvrir nos entreprises aux capitaux étrangers afin de faire du secteur privé le moteur de la croissance économique.
Par ailleurs, la politique des privatisations, c’est un choix politique du pays. Nous sommes dans un Etat de droit ; une loi a été votée par les députés pour adopter cette politique. Donc nous ne pouvons pas ré nationaliser les entreprises privatisées. C’est à l’Assemblée de changer la loi pour que cela soit possible ».
Dans la majeure partie des cas, les sociétés publiques qui ont été privatisées posent les mêmes problèmes aux travailleurs. « En 1993, la BETRAM (une entreprise de maintenance de véhicules) a été privatisée. Elle se portait très bien, mais aujourd’hui tout le monde a des problèmes. De 2006 à nos jours, nous courrons derrière nos salaires. Pire, les travailleurs qui sont aussi actionnaires risquent d’être licenciés par l’actionnaire principal », a dit Birahima Lah, secrétaire général du syndicat de l’entreprise.
Soumaila T. Diarra