Le Comité Daba copie l’article 25 de la constitution française Sans aucune explication ni argumentation quelconque, le Comité Daba a sorti du domaine de la Constitution, la fixation de la durée du mandat des députés et des membres du problématique futur sénat.
Ainsi, contrairement aux dispositions de l’actuelle Constitution, la durée du mandat des députés et des hypothétiques sénateurs sera fixée par une simple loi organique. Pourquoi une telle rétrogradation du niveau de détermination de la durée du mandat des parlementaires ? La pertinence de la proposition paraît d’autant plus discutable qu’elle n’est adossée à aucun impératif démocratique.
L’article 61 de la Constitution qui traite de la duré du mandat des députés est ainsi libellé : « Les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct….. ». Pour ceux qui en douteraient, il est indiscutable que c’est de manière claire et sans équivoque que la durée du mandat des députés a été fixée par la Constitution.
On ne va pas soutenir que ce n’est pas en toute connaissance de cause que le constituant malien avait jugé bon de fixer à cinq(05) ans, au niveau du texte-même de la Constitution, la durée du mandat des membres de l’assemblée nationale. Ce choix que l’on peut du reste observer dans la quasi-totalité des autres Etats, n’est pas fortuit.
Il est généralement dicté par la volonté de mettre à l’abri de velléités de tripatouillage, certaines dispositions jugées importantes dans la sauvegarde des équilibres institutionnels du fonctionnement démocratique des Etats. Certes la durée du mandat des députés ne représente pas exactement les mêmes enjeux que celle du président de la République.
Il n’empêche que c’est aussi un sujet sensible que le constituant malien a cru bon de faire gérer directement. En faisant relever du domaine de la Constitution la durée du mandat des députés, le constituant malien a naturellement entendu assurer ainsi à cette disposition, une garantie de stabilité qui interdit toute manipulation législative éventuelle.
Un fois de plus, ce verrou serait sauté si la fixation de la durée du mandat des membres du parlement devait relever non pas des dispositions constitutionnelles, mais d’une simple loi organique.
Le Parlement décidera désormais de la durée de son propre mandat Ainsi en a décidé le Comité Daba : la détermination de la durée du mandat des membres du parlement sera laissée au bon vouloir des parlementaires eux-mêmes, qui pourraient ainsi décider de s’accorder, en toute liberté, le nombre d‘années qu’ils veulent (5, 6, 7 ans de mandat et pourquoi pas plus !) en sus de l’éventualité de pouvoir jouer le ca échéant aux prolongations.
Le niveau d’ingénierie juridique du Comité sur la question a été tel que le bouleversement constitutionnel important qui en découle ne saute même aux yeux. Nulle part, le Comité n’assume de manière expresse par rapport à l’article 61 de la Constitution qui fixe la durée du mandat des députés, qu’il relègue désormais au niveau de la loi organique cette prérogative d’ordre constitutionnel.
En fait, le Comité semble s’être livré à un double exercice. Dans un premier temps, à la page 50 du Rapport du Comité, la mention relative à la durée de cinq ans du mandat des députés disparaît dans la reproduction de l’article 61 concerné de la Constitution. Textuellement, l’article 61 précise que « les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct… ». Or dans la colonne des propositions du Comité, la mention « pour cinq ans » disparaît sans que cette suppression ne soit signalée.
Simple erreur de frappe ? La question reste posée. Il est vrai que la rédaction de ce nouvel article 61 soulève d’autres interrogations notamment en ce qui concerne le black out sur le mode d’élection des sénateurs…. notamment en ce qui concerne les variations de formulation « suffrage universel direct » et « suffrage indirect » où le mot universel disparaît. Mais passons !
Dans un second temps, la rétrogradation du pouvoir de fixation de la durée du mandat des députés du niveau constitutionnel au niveau du législateur organique est distillée, de manière quasi indolore, à travers le premier alinéa du nouvel article 63 de la Constitution ainsi libellé : « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ».
La formulation actuelle de l’article 63 de la Constitution est la suivante : « Une loi organique fixe le nombre des membres de l’Assemblée Nationale, leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ».
Avec la nouvelle proposition du Comité Daba, la fixation de la durée des pouvoirs de chaque assemblée, c’est-à-dire la durée des mandats, relève désormais de la loi organique.
Greffe inappropriée d’un modèle français
Loin de nous, tout procès d’intention au Comité Daba qui, comme souligné plus haut, n’avance dans son Rapport, aucune argumentation pour justifier sa proposition.
Néanmoins, en analyse de droit comparé, il apparaît que ladite proposition est une reprise presque mot pour mot de l’alinéa 1er de l’article 25 de la constitution française : « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ».
Ainsi donc, à l’instar de la métropole française, le Comité Daba voudrait que se soit par voie législative que la durée du mandat des parlementaires soit fixée.
Pourquoi alors le constituant malien de 1992 qui- on s’en doute bien- s’est fortement inspiré de la constitution français de 1958, aurait-il évité de reproduire textuellement chez nous l’alinéa 1er de l’article 25 de cette constitution, comme il l’a fait pour bien d’autres de ses dispositions ?
Pourquoi dans la quasi-totalité des constitutions africaines d’inspiration française comme la nôtre, ces dispositions de l’alinéa 1er de l’article 25 ne sont pas reproduites ?
Si à l’époque, il pouvait encore subsister quelque doute sur les raisons de cette option, ce n’est pas de nos jours que ce doute serait permis sur son bienfondé, étant donné toutes les manipulations auxquelles nous assistons et qui affectent le fonctionnement démocratique de nos différentes institutions politiques. Faire relever d’une loi, même à caractère organique, la fixation de la duré du mandat des membres du parlement revient à banaliser cette disposition avec toutes les dérives de manipulation que cela peut engendrer.
Ce ne sont pas les singularités procédurales entourant l’adoption des lois organiques qui vont servir de rempart à ces dérives. C’est dans le même esprit que nous avions exprimé nos réserves quant à la voie parlementaire de la révision constitutionnelle proposée par le même Comité Daba.
N’étant pas au Mali dans le même état d’esprit démocratique qu’en France, il y a fort à parier que le renforcement des pouvoirs du législateur organique par rapport à la fixation de la durée du mandat des parlementaires emportera sans doute des conséquences notoirement divergentes.
En permettant au législateur organique malien de fixer et de modifier librement la durée de son mandat, de quelle assurance dispose-ton pour attester qu’il le fera dans le respect des règles et principes constitutionnel ? Comment va -ton s’assurer qu’il ne sera pas tenté d’allonger indéfiniment la durée de son mandat ? Va-t-il, dans l’exercice de ce pouvoir exorbitant, se limiter à ce qui serait strictement nécessaire et démocratiquement digérable ?
Rien n’est moins certain, même si l’on sait que la Cour constitutionnelle pourrait veiller au grin.
Au fond, la fixation de la durée du mandat des parlementaires est une question majeure d’ordre constitutionnel qui ne doit pas être laissée à leur discrétion. Vivement le statu quo sur cette question !
Dr FOMBA
Professeur de Droit
et de Sciences Politiques