Les récents films maliens les plus connus sont « Taafe Fanga » (Le Pouvoir du pagne) d’Adama Drabo, « Genèse » et « Guimba, le Tyran » de Cheick Oumar Sissoko, « Faraw, Mère de sable » d’Abdoulaye Ascofaré, « Faro, la Reine des eaux » de Salif Traoré… Et avec le dynamisme du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM), le 7e art malien s’est mis à l’heure des séries et des feuilletons.
De façon générale, la vitalité du cinéma n’a jamais été démentie à cause de la production d’œuvres de qualité irréprochable. La preuve est que, au palmarès du Fespaco, le Mali est le seul pays à avoir trois Etalons de Yennega, notamment avec « Baara » et « Finyè » de Souleymane Cissé (1979 et 1983) ainsi que « Guimba » de Cheick Oumar Sissoko (1995). Sans compter les autres distinctions récoltées dans des festivals prestigieux comme Cannes (France) et Carthage (Tunisie).
Ce qui en dit long certainement sur le talent des cinéastes et comédiens comme Souleymane Cissé, Cheick Oumar Sissoko ; Balla Moussa Kéita et Falaba Issa Traoré (qu’ils reposent en paix)… Ce palmarès met aussi en exergue la qualité de ce cinéma et sa contribution à l’enrichissement du 7e art africain à travers une thématique variée et profondément ancrée dans le terroir culturel et le microcosme socio-politique du pays.
De « Demain à Nanguila » à « Faro, la Reine des eaux » de Salif Traoré, le cinéma malien a beaucoup progressé au niveau de la technique, de l’écriture et de l’engagement qui est passé de la quête d’une identité culturelle, pour se mettre à l’abri de l’acculturation, au combat politique.
C’est d’ailleurs ce dernier aspect qui retient le plus notre attention dans l’évolution du cinéma au Mali. Certes, le conflit entre tradition et modernité, qui caractérise généralement une grande partie de la créativité culturelle et artistique africaine, surtout littéraire et cinématographique, est très présent dans le 7e art malien. Mais, il a le plus souvent réussi à le transposer dans le domaine de la conquête du savoir et du pouvoir.
Le cinéma malien, de ses débuts dans les années 1960 à nos jours, a été le miroir des aspirations du peuple à travers les régimes (communisme de 1960 à 1968, dictature militaire de 1968 à 1991 et, depuis la quête démocratique) qui ont régné sur le pays. Cette quête du pouvoir est souvent socio-politique comme dans « Baara » et « Waati » de Souleymane Cissé. C’est aussi une quête de liberté et de revendication comme dans « Finyé » du même réalisateur et dans « Guimba » de Cheick Oumar Sissoko.
Cependant, cette aspiration à une autre forme de la gestion politique des jeunes Etats africains comme le Mali, est très pointue dans « Ta Donna » (Au feu), le premier long-métrage d’Adama Drabo. Le contenu de cette œuvre était assez provocateur, frisant le suicide au vrai sens du terme puisque le pays vivait à l’époque une dictature qui ne tolérait aucun écart de langage, fut-il artistique.
« Avec Ta Donna, j’avais voulu faire un film sur l’environnement avec le problème des feux de brousse. Mais le film était aussi marqué par la fermentation de la vie économique et politique dans un Mali dominé par la dictature depuis 23 ans. », explique Drabo.
Ceux qui lisaient le scénario me déconseillaient d’y intégrer cette réalité pour éviter la répression du régime. Mais, c’était un devoir. En tant que réalisateur, je ne pouvais pas être indifférent à cette quête de liberté d’un peuple opprimé et chaque jour humilié
Si cette volonté de liberté des cinéastes fait la force du nôtre, voire africain, elle découle aussi d’une quête de pouvoir : faire de l’écran un pouvoir à l’image de la presse considérée comme le 4e pouvoir dans les démocraties fortes. Pour les Souleymane Cissé, Falaba Issa Traoré, Cheick Oumar Sissoko… il ne s’agissait pas de faire « le cinéma pour le cinéma ».
Mais un outil de l’affirmation de l’indépendance et de changement. Pour eux, le cinéma doit être une expression de la puissance tant redoutée de « la parole, du verbe » fortement ancrée dans la société malienne depuis le temps des grands empires. Ce pouvoir se situe aussi au niveau de la transmission ou de la contestation du pouvoir et du savoir traditionnels très présents dans « Yeleen » de Cissé et « Genèse » de Sissoko.
Toujours en rapport à ce conflit autour du pouvoir, l’émancipation féminine est aussi très présente dans le cinéma malien d’hier et d’aujourd’hui. « Tafé Fanga » (Le Pouvoir du pagne) d’Adama Drabo en est l’illustration. Cette œuvre porte sur la prise de pouvoir des femmes chez les Dogons grâce à un masque sacré. Une revendication politique en faveur de la femme, le plus souvent ignorée dans la prise de décision au niveau de la famille, de la communauté et même de la nation.
Selon le réalisateur, il voulait attirer l’attention et susciter le débat. « Dans nos sociétés, quand le masque apparaît, les femmes doivent se cacher. Or, c’est par leur action que nous avons le masque aujourd’hui. Tant qu’il y aura cette différence, la femme ne pourra s’émanciper. On peut faire des colloques, le fond ne change pas. Je souhaite que le film soulève le débat », dit-il.
Les œuvres des jeunes réalisateurs comme Mambaye Coulibaly, Kadiatou Konaté, Moussa Ouane, Boubacar Sidibé et Salif Traoré n’échappent pas souvent à cette volonté de faire du 7e art une expression des aspirations de la société malienne à travers un cercle de pouvoir, un groupe social. La rupture ne se situant le plus souvent que dans la façon de s’y prendre, de l’esthétique… Ainsi ce désir de changement est passé de la dénonciation à l’acte. On trouve aussi le même engagement socio-politique dans le feuilleton « Duel à Dafa » et des séries comme « Inspecteur Balla » et « Le Grin ».
Comme nous le disait récemment un jeune réalisateur, « les premières générations s’étaient contentées de dénoncer tandis que nous nous voulons plonger dans notre société avec le désir de faire bouger et progresser les choses, en phase avec le vent de démocratisation ».
Une façon respectable de se démarquer des pionniers qui permettra certainement au cinéma malien d’enrichir la diversité cinématographique universelle.
Alphaly