En analysant l’évolution du syndicalisme, une seule question est aujourd’hui pertinente : A-t-on encore besoin de syndicats ?
Le mouvement syndical tel qu’on le connaît aujourd’hui est né aux Etats-Unis. Les ouvriers travaillaient dans des conditions atroces, sans congés, sans assurances, sans lois du travail, à la merci totale du patron. L’on raconte d’ailleurs que le terme populaire anglais pour désigner le travail, le « mot » serait en fait une abréviation de « Just obedience to the boss », traduction libre : « Tu n’as qu’à obéir au patron ! ». Alors, les ouvriers ont osé. Réunions secrètes, tracts, graffitis clandestins sur les murs des toilettes et révolte générale. Il y a eu des morts, des blessés, des embastillés à Chicago, dans l’Illinois. Mais au bout du compte, les travailleurs ont eu le droit de se regrouper, de se reposer un jour de la semaine, de ne travailler qu’au maximum 12 heures d’affilées, puis les congés payés, les assurances, les retraites. Tous ces acquis profitent aujourd’hui aux travailleurs.
Mais, il est bien fini le temps du militantisme, du combat, de recherche de bonheur et de meilleures conditions de vie.
Au Mali, nous pouvons considérer trois époques marquantes dans l’histoire du syndicalisme. Pendant la colonisation, au moment où la France vaincue, humiliée et bafouée, titubait face aux USA et à l’URSS, les syndicats du Soudan français, particulièrement ceux des employés de commerce, des auxiliaires civils de l’administration coloniale et des enseignants ont joué un rôle dans l’éveil des consciences, la sensibilisation et la marche vers l’indépendance.
Puis, de 1960 à 1991, nous avons assisté à une sorte de « jeu du chat et de la souris ». Le pouvoir politique qui usait de la carotte et du bâton, et les syndicats qui testaient régulièrement la résistance de son vis-à-vis. Il se passera des grèves sporadiques, des manifestations d’humeur, des récréations au cours desquelles certains meneurs seront arrêtés. Et toujours les enseignants du Syndicat national de l’éducation et de la culture (SNEC) qui n’ont jamais abandonné la partie et l’espoir de vaincre un jour la tyrannie et d’exercer ce droit reconnu dans le monde entier comme partie des droits de l’Homme, la liberté d’association qui régit le syndicalisme.
Notons d’ailleurs que l’UNTM de 1991 a joué un rôle important dans l’écroulement de la dictature parce que certains ténors avaient toujours gardé en eux la flamme du militantisme sans concessions.
Puis, à partir de 1992, commença la lente descente aux enfers. Comme cela s’est passé en France avec la CGT et la CFDT, en Allemagne avec IG Metal ou aux Etats-Unis des Teamsters avec l’énigmatique Jimmy Hoffa, le syndicalisme malien a entamé sa lente mais inexorable mue en groupuscules sectaires, en sectes d’affairistes, en spécialistes de la combine et des compromissions louches sur le dos de ceux qui doivent être défendus. La chute du nombre d’adhérents aux syndicats est proportionnelle au discrédit qui les frappe. Il y a très peu de jeunes et les syndicats sont devenus, presque partout dans le monde, une affaire de loosers : des employés incompétents, corrompus, indisciplinés etc. se réfugient derrière les « Unions sacrées des travailleurs » pour obtenir des faveurs indues, avancer en grade ou en hiérarchie, instaurer une atmosphère de terreur, de médisance ou de calomnies pour toujours préserver ses intérêts. Il y a maintenant des syndicats qui prennent le thé avec le patronat. C’est tout dire !
Ousmane Sow
EPILOGUE
La lutte des syndicats
Le syndicalisme, en tant que mouvement de revendication des travailleurs salariés, a vu le jour chez nous sous la colonisation. Mais du fait qu’il était dirigé contre les intérêts des colons, sa reconnaissance par l’administration coloniale prit du temps et ne fut réelle qu’à la fin du second conflit mondial.
Les droits et libertés reconnus aux Africains (colonisés) dans le cadre de la Constitution de 1946 permirent à ceux-ci de créer des syndicats dans les grands corps de métier : cheminots, enseignants, médecins, etc. Dès cette époque, à cause sans doute du contexte politique, le syndicalisme au Mali (alors Soudan français) eut des orientations politiques et ne quittera plus ce sillon jusqu’à l’indépendance en 1960. A cette date, le pluralisme syndical était déjà une réalité dans ce pays, mais l’option socialiste prise en 1960 ne permit plus de le garder alors que dans le passé, au niveau des revendications catégorielles, il avait fait ses preuves.
En conformité avec l’option socialiste choisie, le gouvernement opta pour l’unification des différentes branches syndicales et c’est ainsi que le 28 juillet 1963, à son congrès constitutif, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) comprenant 12 syndicats nationaux, vit le jour avec à sa tête Mamadou Famady Sissoko comme secrétaire général. La centrale syndicale ainsi créée décida d’accompagner le gouvernement par tous les moyens et c’est ce qui explique qu’en dépit des maigres salaires de la Fonction publique et des Sociétés et entreprises d’Etat durant tout le règne de l’US-RDA, elle sut maintenir les travailleurs mobilisés pour défendre la patrie et le régime ; En 8 ans (1960-1968) d’exercice du pouvoir politique, l’US-RDA ne connut ni grève, ni arrêts du travail ni marches dans les rues pour cause de revendications salariales ou autres.
Le coup d’Etat de novembre 1968 vint brusquement changer cette situation parce que dès le 27 novembre 1968, soit une semaine après le putsch, le CMLN fit dissoudre l’UNTM pour la remplacer 2 ans plus tard, le 10 juillet 1970 par le Comité de coordination des travailleurs maliens.
Par cet acte, le nouveau régime visait à se débarrasser d’un partenaire gênant et à le remplacer par une structure à ses bottes, de manière à bien tenir le monde du travail. Ces dispositions firent que la situation syndicale fut morose de 1970 à 1974 où du 1er au 4 avril 1974, dans la foulée de l’adoption de la Constitution et la mise en place de l’UDPM, le 3e congrès ordinaire de l’UNTM fut organisé qui fit élire Seydou Diallo comme secrétaire général.
Le nouveau syndicat ainsi créé apparaissait comme un appendice du parti unique constitutionnel (UDPM), tout comme l’UNJM et l’UNFM. Son efficacité dans le combat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs était d’office nulle puisque n’étaient élus au secrétariat général que les hommes soumis aux militaires du CMLN. En conséquence de 1974 à 1985, l’UNTM se montra l’allié fidèle du régime et fit tout pour ne pas le contrarier au détriment des intérêts des travailleurs. Plus grave encore, à son 6e congrès ordinaire des 28 et 29 octobre, la centrale opta pour la participation responsable, autrement dit la collaboration avec le régime. En clair, elle abdiquait parce que tout dans la nature de l’UDPM indiquait que ce régime méprisait les travailleurs et qu’il n’avait aucune envie de leur faire des cadeaux. Mais les conditions de vie et de travail des masses ne faisaient qu’empirer si bien que des grèves éclatèrent dans l’enseignement, l’administration générale et même les entreprises. Les effets dévastateurs du Programme d’ajustement structurel (PAS) avaient alors atteint de plein fouet les travailleurs dont beaucoup étaient compressés pendant que d’autres, partis à la retraite volontaire, rasaient les murs.
Les années 1985-1988 sont caractérisées par un durcissement sans précédent du régime envers les travailleurs qui ne percevaient plus régulièrement leurs salaires et subissaient dans le même temps les effets de la vie chère. Face à la gravité de la situation, l’UNTM opta le 28 mai 1990 lors de sa session extraordinaire tenue à la Bourse du travail pour le multipartisme perçu alors comme la seule porte de sortie. Les dernières années du régime sont marquées par les grèves perlées et les marches des travailleurs mobilisés par l’UNTM et ces luttes menées conjointement avec le Mouvement démocratique et les scolaires regroupés au sein de l’AEEM, aboutirent à la chute du régime en mars 1991.
L’une des revendications essentielles des travailleurs était le pluralisme politique et syndical ; c’est pourquoi la conférence nationale (juillet-août 1991) s’empressa d’accorder ces deux options, si bien qu’aujourd’hui existent deux grandes centrales syndicales, l’UNTM et la CSTM.
Facoh Donki Diarra
UNTM
Pionnière de la lutte d’indépendance
L’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) a joué un grand rôle dans l’avènement de l’indépendance au Mali et dans la vie politique de la première République. Avant notre accession à la souveraineté nationale et internationale et bien avant le congrès constitutif de 1963 qui lui a donné le nom UNTM, la première centrale syndicale malienne a connu différentes appellations. Elle était connue sous le nom de l’Union régionale des travailleurs du Soudan (URTS) regroupant d’autres pays voisins. Elle sera appelée plus tard Union des travailleurs du Soudan (UTS) avec une assise nationaliste.
A l’origine, le combat politique mené par le père de la Nation, Modibo Kéita et son camarade politique Mamadou Konaté, était d’ordre syndical. Enseignants de profession, tous les deux ont fait leurs premières armes dans le syndicalisme face au colonisateur. Ils n’ont pas assumé de responsabilités syndicales, mais étaient des militants engagés à la base. Leurs démarches ont abouti à la création de l’Union soudanaise du rassemblement démocratique africain (l’US-RDA), ce grand parti politique sous-régional qui a conduit notre pays à l’indépendance en 1960.
L’UNTM, créée officiellement en 1963 avec comme premier secrétaire général Mamadou Famady Sissoko, était l’un des organes constitutifs du parti Etat, l’US-RDA. Syndicat unique, l’UNTM a vite épousé les idéaux du socialisme. Certains diront qu’elle a été une école du socialisme à l’égard de la ligne idéologique du parti.
L’UNTM, à l’époque, était considérée comme l’aile gauche de l’US-RDA, plus proche des idéaux de Modibo Kéita qui, à son tour, avait une préférence pour elle. Elle fera front contre l’aile droite, partisane d’une économie libérale et qui va mener des campagnes subversives contre le régime en place.
Restant sur sa position, l’UNTM, aidée par la jeunesse RDA (J US-RDA) va déclencher le 22 août 1967, des manifestations contre les fossoyeurs de l’économie. Les syndicalistes demandaient un assainissement des structures économiques de l’Etat et une épuration politique. Ces soulèvements ont eu comme conséquence la dissolution des municipalités dont la gestion était contestée. « L’opération taxi » et « l’opération villa » ont été déclenchées par le Conseil national des jeunes.
La centrale syndicale qui a pendant des années accompagné les premiers pas de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) sous la IIe République, s’est retrouvée du côté du Mouvement démocratique pour renverser le régime dictatorial du général Moussa Traoré en 1991. Bakary Karambé, son secrétaire général de l’époque, qui avait succédé à Seydou Diallo qui avait lui aussi pris le fauteuil de Mamadou Famady Sissoko, a tenu haut le flambeau de l’UNTM. Une fière chandelle a été dressée à Bakary Karambé par la centrale syndicale ghanéenne, qui l’a élevé en 1994 au rang de « l’Empereur du syndicalisme africain» .
Abdrahamane DickoBAKARY KARAMBE, ANCIEN SG DE L’UNTM
Un des pionniers de la lutte syndicale au Mali
On ne peut écrire l’histoire syndicale du Mali indépendant sans évoquer son nom qui a lui seul a fait trembler le pouvoir de GMT dans les années 90. Et c’est encore lui, avec d’autres camarades qui ont craché la vérité à Moussa Traoré pour l’ouverture démocratique. Lui, c’est Bakary Karambé, (paix à son âme) ancien secrétaire général de l’UNTM.
Les mémoires sont encore fraîches des actes héroïques qu’il a posés. On se rappelle, qu’à l’issue du conseil extraordinaire les 28 et 29 mai 1990 à la Bourse du travail, la Centrale syndicale, sous la direction de M. Karambé, a demandé la révision générale de la Constitution et la « déconstitutionnalisation » du parti unique : Union démocratique du peuple malien (UDPM). Malgré les menaces et autres intimidations du régime militaire de l’époque, le vieux Dogon Bakary Karambé a résisté. L’UNTM a demandé l’ouverture démocratique. Ce qui fera dire aux observateurs que le rôle de l’UNTM et de son secrétaire général a été déterminant dans le bouleversement politique de mars 1991.
Né vers 1925, Bakary Karambé est décédé en 2004 après avoir consacré des décennies de sa vie à l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Selon certains anciens camarades de lutte, M. Karambé a tout donné à l’UNTM. 4e secrétaire général de la Centrale syndicale pendant plus de 20 ans.
Rien ne le prédestinait a priori aux fonctions de syndicaliste rompu à la tâche. Agent des postes, télégraphiques et télécommunications (PTT), la vie professionnelle de Karambé n’a pas été du tout repos. « Il s’est donné corps et âme à son travail » témoignent certains de ses anciens collaborateurs.
Pièce maîtresse du changement
Selon d’autres « L’UNTM, la Centrale syndicale qu’il a eue l’honneur de diriger jusqu’aux événements de mars 1991 était proche de l’ancien régime de l’UDPM siégeait de droit au BEC. Mais malgré tout, sous sa direction, l’Union n’a jamais vendu son âme au diable ». La résolution prise au cours de son conseil central de mai 1990 en faveur de l’ouverture démocratique a été déterminante dans la suite du combat mené par le Mouvement démocratique auquel l’UNTM de Bakary Karambé s’est ralliée.
D’ailleurs c’est à ce titre que le secrétaire général de l’UNTM était aux côtés de Me Drissa Traoré du Barreau, Me Demba Diallo de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), pour remettre la fameuse lettre du Mouvement démocratique qui demandait au général Moussa Traoré de démissionner suite au massacre du vendredi 22 mars 1991 communément appelé vendredi noir.
Au lendemain du coup d’Etat, c’est-à-dire le 26 mars à 2 heures du matin, il a été parmi l’un des premiers responsables informés par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré qui venait de prendre le pouvoir à la tête d’une junte militaire. « Déjà à 2h 30, lui et Me Demba étaient dans le bureau d’ATT. Ce dernier leur a demandé d’user de toute leur influence pour que l’ordre revienne dans le pays ».
Il a été le vice-président du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), c’est-à-dire n°2 de l’Etat malien du 31 mars 1991 au 8 juin 1992.
Eu égard aux nombreux services rendus au syndicalisme malien et africain et à son combat en faveur du mieux être des travailleurs, le 4e secrétaire général de l’UNTM a été élevé à la dignité « d’Empereur du syndicalisme africain » par ses pairs à Accra au Ghana en 1994. Incontestablement, Bakary (paix à son âme) fait partie des hommes du cinquantenaire.
Amadou Sidibé
PLURALISME SYNDICALISME
L’UNTM n’a pas échappé au vent du pluralisme
« Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! ». Cet appel du philosophe allemand, grand défenseur de la cause de la classe ouvrière, Karl Marx dans son « Capital », n’a pas été entendu par l’UNTM qui ne parviendra pas à surmonter ses contradictions internes et donnera naissance à la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM).
Les événements survenus au Mali en mars 1991 et qui ont été marqués par le renversement du régime militaire de Moussa Traoré vont ouvrir un nouveau chapitre dans la vie des groupements socio-professionnels. Le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), dirigé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, actuel chef de l’Etat, décide d’instaurer dans le pays, le multipartisme intégral tant réclamé par le peuple sous le régime de Moussa Traoré.
En même temps, il jette les bases d’un Etat de droit. C’est dans ce contexte nouveau que l’Union nationale des travailleurs du Mali, créée en 1963, et unie jusque-là, va devoir faire face au pluralisme syndical. La gestion d’une somme allouée par les autorités pour la création d’une centrale d’achat sera la pomme de discorde entre les membres du bureau. Le conflit se propage au sein du syndicat et l’atmosphère devient délétère.
Face à cette situation, l’UNTM décide de la convocation d’un congrès extraordinaire pour mettre l’accent sur la nécessité de l’unité syndicale dans un environnement de plus en plus compétitif. Après le 8è congrès tenu en décembre 1992, une grave crise de leadership traverse la centrale syndicale. Elle provoque la suspension du secrétaire général Issa dit Issé Doucouré et de son adjoint d’alors Hamadoun Amion Guindo.
Des bureaux exécutifs
Le congrès ne parviendra pas à résoudre le contentieux qui va même s’aggraver avec la naissance de deux bureaux exécutifs parallèles. La médiation de l’Association malienne pour la défense des droits de l’Homme (AMDH) conduira à la convocation d’un congrès extraordinaire du 21 au 24 août 1997. Ce congrès mettra en place un bureau exécutif avec Siaka Diakité comme secrétaire général. Cette fois-ci, la rupture est consommée. Des syndicats nationaux acquis à la cause d’Amadoun Amion Guido se retirent de l’UNTM pour créer la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) avec à sa tête Hamadoun Amion Guindo.
L’UNTM ne sera pas le seul syndicat à connaître la scission. La contagion va gagner les syndicats nationaux affiliés à l’UNTM. Ainsi, la Fédération nationale de l’éducation (FEN) se détache du Syndicat national de l’éducation et de la culture (Snec). D’autres divisions similaires se produiront dans les différents ordres d’enseignement, dans le secteur de la magistrature, de la Santé…
Le virus de la division gagne même les comités syndicaux d’entreprise et les corps de métier. « Mais malgré ces divisions, les travailleurs ont toujours su défendre leurs droits et leurs intérêts », affirme-t-on à l’UNTM. Pour ce responsable du bureau de l’UNTM, le pluralisme syndical a certes fragilisé la lutte syndicale, car il manque souvent d’unité des syndicats dans l’action, reconnaît-il, mais ce pluralisme syndical n’a pas « tué les syndicats, bien au contraire. Ils sont devenus nombreux, mais le risque est de voir souvent des grèves perlées, toutes choses qui peuvent mettre une nation en péril », ajoute notre interlocuteur. Pour lui, l’essentiel est que les syndicats soient toujours en première ligne dans les luttes sociales pour défendre les intérêts des travailleurs.
Denis Koné
L’UNTM, UN BAROMETTRE DE L’INDEPENDANCE
Naissance et mutations d’un espoir
L’UNTM, engagée dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, a été l’un des acteurs clé du soulèvement populaire qui a entraîné l’avènement de la démocratie au Mali.
L’Union nationale des travailleurs du Mali est l’héritière d’une longue tradition de combats, de sacrifices individuels et collectifs et souvent de douloureuses déchirures. Son histoire se confond avec celle de la lutte de notre peuple pour sa liberté et son épanouissement.
Selon des archives de la Centrale syndicale, l’origine des luttes syndicales dans notre pays remonte à la fin de la conquête coloniale de l’ex-Soudan français. C’est à l’accession de notre pays à l’indépendance en 1960, que l’UNTM verra le jour et va jouer un grand rôle dans le retour à une vie constitutionnelle en 1974 et la reprise des activités politiques quatre ans plus tard. Il interviendra de façon décisive dans le règlement du conflit qui opposera le mouvement estudiantin et le pouvoir en 1980. L’élaboration des statuts de la coopération nationale, celle des textes relatifs à l’institution de l’autogestion au niveau des unités de production sont l’œuvre de la centrale syndicale.
Tout comme la révision du statut général des fonctionnaires, instituée par l’ordonnance N°77-71-CMLN du 26/12/77, la suppression de la limite d’âge dans les concours professionnels ainsi que les différentes intégrations dans les différents corps de l’administration. À cela s’ajoutent les divers avantages accordés aux travailleurs, l’institution de la journée continue.
La centrale syndicale a aussi initié le principe de « la participation responsable » qui va donner plus de responsabilité dans le processus de développement économique. L’UNTM participe ainsi à la commission spéciale désignée par le congrès extraordinaire de mars 1987 de l’Union démocratique du peuple malien, pour mettre en place toutes les instances du parti et engager la moralisation de la vie publique avant un congrès ordinaire. Mais avec une scène politique nationale en pleine mutation, diverses associations furent créées et appuyées par le mouvement estudiantin, réclamant l’instauration du multipartisme. Ainsi lors de son 27e congrès ordinaire en mars 1989, l’UNTM adresse un appel au gouvernement pour la déconstitutionnalisation du parti unique et l’ouverture démocratique. Le régime fait fi de cette injonction alors que la contestation populaire monte en puissance.
Leçons de l’intransigeance
L’UNTM, tirant les leçons de l’intransigeance du pouvoir, convoque un conseil central extraordinaire à la Bourse du travail les 28 et 29 mai 1990. La centrale va prendre sous la direction de son secrétaire général Bakary Karambé (paix à son âme), la direction de l’Etat major insurrectionnel. Celui-ci était composé du Comité national d’initiative démocratique (Cnid), de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), de la Jeunesse libre et démocratique (JLD), de l’Association des demandeurs et initiateurs d’emploi (Adide), de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), de l’Association des jeunes pour le développement et le progrès (AJDP).
L’UNTM fut nommée vice-présidente du Comité de transition pour le salut du peuple, (CTSP) mis en place après le renversement de Moussa Traoré le 26 mars 1991. Le CTSP instaure le multipartisme intégral et jette les bases institutionnelles d’un Etat de droit. Au bout de quatorze mois de transition, les premières élections libres et démocratiques consacrent la victoire d’Alpha Oumar Konaré et le début de la IIIe République. L’UNTM va, dans ce contexte nouveau, devoir face à l’émergence d’un multipartisme syndical. Face à cette situation, elle convoque un congrès extraordinaire pour mettre l’accent sur la nécessité de l’unité syndicale dans un univers de plus en plus compétitif.
Après son 8e congrès tenu en décembre 1992, une grave crise de leadership traverse la centrale syndicale entraînant la suspension du secrétaire général Issa dit Issé Doucouré et de son adjoint Hamadoun Amion Guindo. Le congrès n’a pu résoudre le conflit. Celui-ci s’est même aggravé avec la naissance de deux bureaux exécutifs parallèles. La médiation de l’AMDH conduira à la convocation d’un congrès (21 au 24 août 1997) qui mettra en place un bureau exécutif avec Siaka Diakité comme secrétaire général. Cette fois la cassure est consommée. Des syndicats nationaux abandonnent le navire UNTM pour créer la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) avec à sa tête Hamadoun Amion Guindo. La contagion gagne les syndicats nationaux affiliés à l’UNTM. La Fédération nationale de l’éducation (Fen) se détache ainsi du Snec. Mais cette extraordinaire mutation n’empêche pas la centrale syndicale de demeurer au cœur des luttes sociales et de défendre les intérêts des travailleurs.
Anne-Marie Kéita
LES SYNDICATS DE 1960 A AUJOURD’HUI
Des Bamakois se prononcent
Dans le micro trottoir ci-dessous, des citoyens expliquent que le syndicat avait plus de puissance aux premières heures de l’indépendance qu’aujourd’hui.
Souleymane Mariko (employé de commerce à la retraite) :
« J’ai commencé à travailler en 1962. À l’époque le syndicat était très puissant. Sa force était basée sur l’union. Il n’y avait que l’UNTM qui était bien implantée dans le pays ».
Oumar Traoré (ancien syndicaliste) :
« L’UNTM était le seul syndicat de l’indépendance à 1968. Elle était bien organisée parce que c’était la classe ouvrière. Maintenant, il y a plusieurs syndicats qui sont divisés ».
Mme Goïta Alima Coulibaly (fonctionnaire à la retraite) :
« Avant le coup d’Etat, le syndicat était organisé. Les syndicalistes ne se trahissaient jamais. Le syndicat était caractérisé par l’union, la cohésion, la résistance, ce qui faisait sa force. Je ne suis pas contre la multiplication des syndicats aujourd’hui, mais ils feront mieux d’unir leurs forces afin d’obtenir leur objectif »
Adama Cissé (infirmier) :
« Il n’y a plus de sérieux dans les luttes syndicales. L’argent a tout ramolli. Les leaders prennent de l’argent en pleine lutte et renoncent au combat. C’est pourquoi les syndicats ne sont plus respectés »
Propos recueillis par
Sidiki Doumbia