Moins d’un an et demi après l’élection d’un civil à la tête de l’Etat en Mauritanie, l’armée a repris le pouvoir hier en perpétrant un coup d’Etat. Ce putsch porté par des officiers supérieurs de l’armée a été perçu à travers le monde comme un arrêt brutal du processus démocratique en Mauritanie et condamné comme tel par l’Union africaine et certains partis et leaders politiques vigilants, avec l’exigence de la libération inconditionnelle du Président et du Premier ministre mauritaniens.
Hier, vers huit heures du matin, un décret présidentiel qui a été publié annonçait le limogeage de certains dirigeants militaires du pays : le chef d’Etat major de l’armée, le chef d’Etat major particulier du président, le chef d’Etat major de la gendarmerie et le chef d’Etat major de la garde nationale.
Quelques minutes après la publication de ce décret, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a été arrêté à son domicile, dans l’enceinte du palais présidentiel. Selon sa fille, Amal, qui a très tôt alerté les médias, c’est son agent de sécurité le plus proche qui est venu, lui demandant de coopérer pour ne pas avoir à l’emmener de force, rapporte Rfi.
« Nous sommes barricadés dans notre maison, avec des sentinelles dans la cuisine et dans les salles de bain, a-t-elle expliqué à RFI. Nous sommes séquestrés et des portables ont été confisqués. C’est un coup d’Etat en bonne et due forme ».
Plusieurs sources font également rapidement état de l’arrestation du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur, par des membres de la garde présidentielle, sans que l’entourage de ses deux ministres ne soit en mesure de confirmer. « Ils sont tous les trois chez le directeur du BASEP, le Bataillon chargé de la sécurité présidentielle », affirmait de son côté un journaliste, selon Rfi.
Deux ministres du gouvernement, le ministre du Tourisme et celui de la Culture, ont donné lecture à la télévision à 11h30 (TU), un premier communiqué émanant des militaires. Ils ont indiqué la création d’un « Conseil d’Etat » présidé par le général Ould Abdelaziz, chef du BASEP. « Le Conseil a décidé de rendre nul et non avenu le décret de limogeage pris tôt ce matin par l’ex-président Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi », a indiqué un autre communiqué. Il n’y a plus de doute, il y a eu putsch militaire.
Résistances au coup d’Etat anticonstitutionnel
Du côté des hommes politiques loyalistes, tout comme de l’opposition. Boydiel ould Houmeid, ministre secrétaire général de la présidence et vice-président du parti ADIL, s’insurge : « Les militaires sont venus ce midi nous déloger du siège du parti présidentiel à coup de matraques », rapporte Rfi. Pour lui, on assiste aujourd’hui à un coup d’Etat anticonstitutionnel puisque Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi a été élu légalement par le peuple mauritanien l’an passé.
Aux manifestants qui avaient occupé les rues du centre ville pour revendiquer le retour à l’ordre constitutionnel, les forces de l’ordre ont répondu par des jets de grenades lacrymogènes. « Moi, je ne souhaite pas une guerre civile, car notre pays est trop faible pour supporter cela ! Mais malheureusement, il faut reconnaître que c’est ce genre d’événement qui engendre généralement des manifestations de violences », ajoute encore Boydiel ould Houmeid, selon un article de Rfi publié hier.
Leader du parti islamiste modéré Tawassoul, Jemil Mansour, rejette lui aussi le principe d’un coup d’Etat militaire dirigé contre un président élu. « Nous demandons aux militaires de respecter l’unité et la stabilité de la Mauritanie et d’essayer de faire revenir les institutions démocratiquement élues au premier rang desquels le président de la République ».
Même tendance à l’UFP, l’Union des Forces de Progrès. Selon le président de ce parti, Mohamed Ould Mohamed qui fut candidat de son parti à la présidentielle de mars 2007, « ils viennent de faire un coup d’Etat contre la stabilité de la Mauritanie, la démocratie et l’espoir de justice.
Nous condamnons cette fuite en avant des militaires, et pensons que ce coup de force ne sera pas accepté par les Mauritaniens, ni par la communauté internationale » a affirmé le président Mohamed Ould Mohamed, qui bien que longtemps dans l’opposition a toujours affirmé soutien à l’institution présidentielle.
Les instigateurs de ce coup d’Etat seraient deux généraux parmi les trois que compte l’armée mauritanienne et qui sont : Mohamed Ould Abdel Aziz, le chef de la sécurité présidentielle et Ghazouani le chef d’état-major général. Il s’agit de ceux-là même qui ont épaulé le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, lors des compétitions électorales.
Selon les sources bien informées, ils ont usé de tous les moyens pour le contraindre
à exercer ses fonctions sous leur tutelle. Le Président, depuis la constitution du gouvernement avec les partis politiques, tente, avec le soutien de certaines forces politiques (dont l’APP de Messaoud, les Islamistes de Jemil Mansour et l’UFP), de parvenir à une certaine autonomie dans l’exercice du pouvoir.
Dans la mesure où il est particulièrement difficile aux Généraux de recourir à un coup d’État militaire classique, ils ont tenté un coup d’État institutionnel en s’appuyant sur un groupe de députés à leur dévotion. Par ce moyen, ils ont pratiquement forcé le Président à changer de gouvernement, en écartant l’UFP, les Islamistes et d’autres, en utilisant la menace d’une motion de censure par le groupe de députés « frondeurs« , comme on les appelle à Nouakchott, nous précise une source mauritanienne.
Selon cette source, un trait marquant des généraux est leur chauvinisme et leur opposition au retour des déportés et à la réconciliation national. D’une manière générale, les observateurs avisés remarquent qu’ils sont particulièrement haineux à l’égard de l’UFP.
Au Mali, le Parti pour la renaissance nationale (Parena), dirigé par l’opposant Tiebilé Dramé, a considéré ce putsch comme étant un recul indiscutable de la démocratie en Mauritanie, et l’a condamné avec la dernière énergie. Le Parena exige « la libération inconditionnelle du Président et du Premier ministre mauritaniens et le retour immédiat à la légalité constitutionnelle en Mauritanie ».
Le Parti du bélier blanc demande aux Gouvernements démocratiques de condamner ce coup d’Etat et de ne pas reconnaître de légitimité aux putschistes.
Plus particulièrement, le Parena attend des autorités du Mali qu’elles ne cautionnent pas le putsch perpétré à Nouakchott et exhorte les démocrates mauritaniens à la résistance aux putschistes par tous les moyens de lutte politique !
A travers le monde, le coup d’Etat a été condamné par l’Union africaine, la France, les Etats Unies et les Nations Unies.
L’union africaine condamne le putsch
Dans un communiqué de presse le Président de la Commission de l’Union Africaine, M. Jean Ping, à fait savoir qu’il suit avec une grave préoccupation l’évolution de la situation en Mauritanie, notamment le renversement par des éléments appartenant aux forces armées mauritaniennes du chef de l’Etat démocratiquement élu, M. Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
« Conformément à la Déclaration de Lomé de juillet 2000, à l’Acte constitutif de l’UA et à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, que la Mauritanie a ratifiée le 7 juillet dernier, devenant ainsi le premier Etat membre à être partie à cet instrument, le Président de la Commission réitère le rejet par l’UA de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement et de toute tentative de prise du pouvoir par la force ».
L’Union Africaine, qui, en collaboration avec ses partenaires au sein de la communauté internationale, a fortement accompagné le processus de retour à l’ordre constitutionnel et appuyé la transition remarquable qui a conduit à la mise en place d’institutions démocratiques en Mauritanie en mai 2007, condamne ce coup d’Etat et exige le rétablissement de la légalité constitutionnelle, indique le communiqué.
En raison de la gravité de la situation, le Président de la Commission a décidé de dépêcher immédiatement à Nouakchott le Commissaire à la paix et à la sécurité, l’Ambassadeur Ramtane Lamamra, pour s’enquérir de l’évolution de la situation et aider à promouvoir un règlement pacifique de la crise, dans le respect scrupuleux de l’ordre constitutionnel et de la légalité.
Selon le Président de la Commission de l’Union Africaine, M. Jean Ping, il ne s’agit pas de se limiter à faire des déclarations, mais elles doivent être suivies d’actions, comme ce fut le cas pour l’Union africaine.
Dans l’intervalle, et conformément à la Déclaration de Lomé, le Conseil de paix et de sécurité devait incessamment se réunir pour examiner la situation.
B. Daou