Il y a 9 ans (soit le 23 Mars 2001), le confrère “L’Essor” publiait un article sur les douloureuses circonstances des évènements de Mars 1991 qui avaient précipité la chute du Général Moussa Traoré et son régime.
Puisque cette année 2010 consacre l’implication de tous les Maliens dans la mouvance du Cinquantenaire de l’Indépendance du pays, il paraît indiqué de revenir sur le fil de ces évènements qui ont endeuillé bien des familles et mis l’économie du pays presque à genoux, même s’ils ont ouvert la voie d’une nouvelle ère de démocratie et de libertés plurielles. Aussi, pour “rafraîchir les mémoires“ et inciter tous les Maliens à une méditation porteuse de plus de sagesse, de citoyenneté et de patriotisme, nous nous faisons le devoir de publier cet article intitulé “LA NUIT OU LE DESTIN BASCULA : … Et tout fut terminé à minuit et quart“.
« Ce fut une longue traque qui a commencé juste après les évènements de Mars 1991. Comment fut organisé et conduit le coup d’Etat militaire qui allait parachever l’œuvre des forces démocratiques et aboutir à l’arrestation de Moussa Traoré? Nos questions rencontrèrent d’abord des refus polis, mais fermes. Puis la vérité de reconstitua bribe par bribe, et finalement, il nous a été possible de faire le recoupement défini auprès des acteurs eux-mêmes, qui ont bien voulu comprendre notre démarche.
Le journalisme est la chronique de l’immédiat, et s’il n’a pas toujours la possibilité de dissiper toutes les brumes de l’Histoire, il a le devoir de tenter de le faire. Pour l’information du public. Pour éviter aussi que soit servie à celui-ci la réécriture des évènements telle qu’un soir de Novembre 1968, Moussa Traoré la fit subir à des téléspectateurs éberlués. Plus proche se trouve la relation des évènements, plus fidèle s’avère la reconstitution, et plus difficile la récupération. C’est en espérant que nos lecteurs adhèrent avec nous à ce credo que nous leur proposons le récit du coup d’Etat.
Certaines coïncidences font que l’on a parfois l’impression que l’avenir se construit en spirale, les évènements s’annonçant et s’appelant à distance. Ainsi, le premier contact direct avec Moussa Traoré et ATT se produisit à l’occasion d’un coup d’Etat. Avorté, celui-là. On était en Février 1978, et la Brigade des Trois (ainsi que la baptisa, à l’époque, notre confrère Vincent Traoré) venait d’être neutralisée. Dans le véhicule d’un des dignitaires se trouvait une mallette contenant 25 millions de francs maliens. Le chauffeur, après mille hésitations, se décida à la remettre aux autorités de l’époque.
Le hasard fit qu’il vint la livrer à ATT qui était, à l’époque, Capitaine à la Compagnie-Para. Le jeune officier convoya le pactole jusqu’à la Maison du Peuple et remit la mallette en mains propres à Moussa Traoré (qui fit ensuite envoyer la somme au Trésor par Amadou Baba Diarra). C’était la première entrevue entre les deux hommes qui ne se doutaient pas encore qu’un face-à-face tragique conclurait leurs relations treize ans et quelques jours plus tard.
Quelques mois après, en début 1979, ATT se retrouvait à nouveau dans le bureau de Moussa Traoré pour une entrevue presque kafkaïenne où revint la notion de coup d’Etat. Le Chef de l’Etat, à peine l’officier installé, lui posa abruptement une question inattendue. “Il m’est revenu que des officiers supérieurs vous avaient contacté pour un coup d’Etat, et que vous avez refusé d’y adhérer. Pourquoi donc ?”, dit-il.
ATT, assez désarçonné par cette entrée en matière cavalière, réfuta d’abord l’assertion avant de dire que, de toute façon, à son avis, l’avenir du Mali ne se résoudrait pas avec un coup de force militaire, et qu’il y avait d’autres voies pour bâtir notre pays. Le Président hocha la tête et renvoya son interlocuteur sans autres commentaires. Celui-ci apprit beaucoup plus tard que certains services avaient fait à son endroit des rapports négatifs ; ce qui avait motivé ce test bizarre.
En Décembre de la même année, les relations entre les autorités et le monde scolaire et universitaire connut la tension que l’on sait. En Février 1980, les premiers étudiants et professeurs arrêtés étaient internés au Camp-Para. Parmi eux Tiéblé Dramé (Ministre des Affaires Etrangères sous la Transition), Mamadou Lamine Traoré (membre du CTSP sous la Transition), et Victor Sy.
Un soir, ce dernier demanda à voir ATT ; et lorsque le Capitaine se rendit dans sa cellule, l’universitaire lui fit une exhorte assez inattendue. Le pouvoir de Moussa Traoré, disait-il, révélait, en ces heures critiques, sa véritable nature et il entraînait le pays vers l’abîme. Alors, poursuit Victor Sy, il revenait aux jeunes officiers d’avoir l’audace de se dresser et de faire un coup d’Etat contre celui qui glissait vers la dictature.
Dire que le discours surprit le jeune Capitaine serait rester largement en dessous de la vérité ; mais il retourna à son interlocuteur la confiance que celui-ci avait faite en lui parlant franchement. Les conditions objectives d’un coup d’Etat n’étaient pas réunies, fit-il prévaloir. Le peuple prendrait cette initiative pour une simple péripétie dans la lutte des militaires pour le pouvoir. Et quelle que soit l’issue finale du putsch, elle serait complètement indifférente au Malien moyen. Les arguments convainquirent-ils Victor Sy? Nul ne sait, mais l’universitaire n’insista pas.
La quatrième fois où ATT vit la notion de coup d’Etat intervenir dans sa carrière militaire fut en 1989, un peu avant son départ pour l’Ecole de guerre de Paris. A ce moment, l’on ne parlait pas encore de démocratisation, mais le régime Moussa Traoré avait déjà fait preuve de son incapacité à se remettre en cause.
Les velléités de réforme et de “sursaut national” avaient tourné rapidement court ; la camarilla des affairistes et des opportunistes opérait pratiquement à visage découvert, et la désespérance populaire, qui allait aboutir à l’explosion de Mars 1991, faisait déjà entendre ses accents déchirants.
ATT, bien que placé à la tête de la Garde présidentielle depuis 1981, n’était pas ce que le Général Moussa Traoré aurait pu appeler un fidèle parmi les fidèles. Il lui reconnaissait ses qualités d’officier, mais doutait de son dévouement absolu. Il n’était pas le seul au sein de l’Armée, puisque le jeune Capitaine promu en 1978 dut attendre 6 ans pour recevoir ses barrettes de Commandant. Quand on sait qu’un élément méritant avance au bout de trois ans, l’on apprécie mieux la pénitence qui fut administrée à l’officier.
Suprême marque de défiance, on l’inscrivit sur le tableau d’avancement en 1984, pour une mise en observation de trois mois, avant de le nommer Commandant. Traitement paradoxal pour un officier à qui l’on avait confié le commandement de la Garde présidentielle”.
(A suivre)…
Rassemblées par Oumar DIAWARA
(Source : Journal “L’Essor”)
PS : Le titre, le sous-titre et l’inter-titre sont de la Rédaction