Au Centre Culturel Français de Bamako où il se produisait le Week-end dernier, c’est un public debout et ovationnant qui a suivi la prestation de plus de deux heures que le «Zottoboy» de la Kora livrait, emporté lui-même par les mélodies que ses doigts magiques égrenaient. Zotto pour les branchés renvoie à l’Amérique de toutes les démesures, y compris musicales. Le label du Mali, dans ce pays qui aime tant la perfection ouvrant sur la Word musique, a un nom: MAMADOU KORA DIABATE.
Le Républicain : Qui est Mamadou Diabaté?
Mamadou Diabaté : Je m’appelle Mamadou Diabaté, je suis né à Kita, cet incontestable vivier de la culture mandingue et de la « djéliya ». J’y ai grandi au milieu des instruments et des mélopées, au pied d’un père virtuose de la kora et dont le talent était connu et reconnu au niveau national. Djéli Morifa Diabaté, c’était son nom, était membre du célèbre Ensemble Instrumental du Mali crée au lendemain des indépendances et qui a remporté tant de prix sur les scènes du monde. Il y faisait référence. C’était lui mon premier maître et la kora ma première école.
«Je suis le fils du grand Djéli Morifa Diabaté».
Sorti de ce moule et de celui d’autres grands noms, on développe tout naturellement une prédisposition à rêver d’être au sommet de cet art et c’est ce que j’ai essayé de faire.
Je me suis rapproché du Grand Maître Toumani Diabaté avec qui j’ai joué de nombreuses années, une expérience fructueuse, avant d’aller sonder d’autres cieux. En 1995, toujours convaincu que j’avais à apprendre des autres, je me suis envolé pour les Etats-Unis d’Amérique.
Là je me suis auto formé en approfondissant tout ce que je savais. J’ai effectué des recherches pour parfaire mes connaissances. A la suite de perpétuelles remises en question, me confinant dans l’attitude humble de l’apprenant, j’ai appris beaucoup de choses et ces quatorze dernières années ont ajouté à une maîtrise qui ne finira jamais d’être peaufinée…
De 1995 à aujourd’hui cela fait presque 15 ans. Racontez- nous ce parcours !
Au début c’était difficile mais à force de pugnacité et de travail on arrive à bout de tout et par la suite tout devient facile. J’ai développé ma connaissance en Kora, j’ai crée de nouveaux arrangements j’ai purifié mon toucher, j’ai écouté la musique du monde, celle d’Afrique et d’ailleurs. Il me fallait me mettre en situation de gestation pour restituer, le moment venu, c’est que j’ai de meilleur en moi…
« TOUNGA »
Et en 2000, avec la naissance du siècle, ce qui est tout un symbole, j’ai sorti mon premier disque, un album intitulé «Tounga» qui s’est placé 10e dans le classement de la Word Music en Amérique. A dater de ce jour, je n’ai cessé de tourner, de me produire partout dans le monde, managé par des spécialistes et des professionnels très regardants sur la qualité du produit.
En 2004 j’ai produit un deuxième disque, BEMANKAN, il fut nominé au Grammy Award et cette année là je fus le seul Africain à avoir atteint ce niveau dans cette compétition prestigieuse. J’en suis d’autant plus fier que ce disque, j’ai été seul à le faire, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une œuvre personnelle, un solo, une espèce de One Man Show.
Et puis vint Héritage?
Tout à fait, en 2007. HERITAGE remporta le prestigieux prix de l’American Funk Alliance et a vraiment contribué à asseoir à la fois mon art dans cette partie essentielle du monde tout en portant la voix de mon pays. Il m’a aussi donné de la confiance et du courage dans ce que je suis en train de faire car la reconnaissance du public, surtout celui de la Word music, est essentielle pour un artiste.
Héritage et Douga Manssa
C’est ce qui m’a amené à me surpasser, après avoir continué à apprendre de la musique universelle, sans oublier mes racines, ma souche. J’ai alors produit mon quatrième album : DOUGA MANSA. Lui aussi eut un grand succès car il a été sélectionné en décembre dernier comme étant le meilleur disque de Word Music en Amérique.
Aujourd’hui, vous êtes au Mali !
Oui à l’invitation des promoteurs du Festival sur le Niger à Ségou auquel je participe pour la première fois. C’est un honneur que cette distinction, ce d’autant plus que revenir au pays pour se ressourcer et se retremper dans sa culture et son héritage est toujours bénéfique, pour qui veut pérenniser son art en le rattachant à ses fondements séculaires.
D’autre part, J’avais besoin de reconnaissance nationale et le journal le Républicain y joue un grand rôle, il est à remercier. C’est lui qui, le premier m’a ouvert ses colonnes et cette interview est la première que je donne à la presse malienne. Elle permettra aux Maliens d’apprécier mon travail à l’extérieur et la fierté que je ressens à représenter, par mon art, à chaque prestation, mon pays, le Mali.
Quels sont vos projets sur le plan national, africain et international ?
Dans un futur proche, sur le plan international, je compte enregistrer d’autres disques et surtout participer à des évènements de dimension internationale. Promouvoir la Kora en Occident. Je parle à la fois de l’instrument mythique et la pureté du son qu’il produit, sans compter qu’il fut le support premier de la civilisation Mandingo-malienne…
Pour 2010, j’ai en chantier un disque enregistré en partie au Mali et j’en suis à la phase des mixages qui sont prévus aux USA.
«Promouvoir la Kora en Occident».
Après environ 15 ans aux Etats Unis d’Amérique je ne suis qu’au début de ma carrière. Mais à moyen terme, il faut faire en sorte que ce soit le reste du monde qui vienne quêter notre richesse musicale et artistique car nous avons à donner et pour cela il faut créer les conditions de cette plus- value.
«Il faut aider la culture malienne au nom des générations futures !»
De ce point de vue, je souhaiterais construire un «Art-Center» au Mali, dans lequel les artistes, les touristes, les chercheurs et autres pourront venir apprendre la Kora, le balafon, le Ngoni et les danses traditionnelles tout au long de l’année. On doit envisager de produire la world Music tout en offrant aux Occidentaux des genres musicaux originaux et inédits à même d’être appréciés. Organiser des concerts spéciaux et des symposiums à leur intention. Un tel projet est à notre portée, mais les artistes, pour cela ont besoin de l’accompagnement du pays. Il s’agira d’une œuvre collective…
Addis-Abeba, au siège de l’Union Africaine, avant chaque grande cérémonie c’est un de tes morceaux qui est joué. Le sais-tu ?
J’en suis honoré pour le Mali et pour ma modeste personne. Ceci prouve que mon pays compte et aussi, sans fausse modestie, que je fais du bon travail. Un artiste ne vaut que par son public qui lui renvoie sa véritable image. Mais j’aimerais bien aller jouer devant ces illustres personnalités, qu’ils m’invitent donc et ils verront de quoi est capable, moi Mamadou Djélikédjan Diabaté, fils du grand Djéli Morifa Diabaté de Kita, Maître dans l’art de la kora à vingt et une cordes.
«Ma kora sert d’ouverture aux travaux de l’Union Africaine».
L’an prochain, le Mali indépendant aura cinquante ans. Est-ce que sa célébration est inscrite dans votre agenda ? Je serai très honoré si l’on m’y invitait pour me produire et je ne viendrais pas les mains vides. En plus de ma musique je drainerai tous les spécialistes américains et autres de la Word Music pour donner plus de visibilité à la culture malienne.
«Je serai présent au Cinquantenaire du Mali».
Et comme vous venez de le suggérer il serait bon de rassembler, l’espace de quelques représentations, tous les artistes de renom, ceux de l’intérieur comme de l’extérieur, pour produire deux ou trois albums pour accompagner l’événement et lui donner l’éclat qu’il ne pourrait ne pas avoir.
Un dernier mot ?
Je vis à l’étranger et dans les pays lointains la musique malienne a une côte extraordinaire et beaucoup d’Africains et de non Africains s’y reconnaissent. Ce qui n’est pas étonnant pour qui sait que notre pays a été le berceau de nombreuses civilisations.
Mais au-delà, c’est la culture malienne toute entière qui parle au monde. Nos gouvernants doivent le savoir. Qu’ils boostent donc la musique et la culture et le rayonnement du pays s’en trouvera encore plus grand.
Interview réalisée par S. El Moctar Kounta
Avec la collaboration de Kadiatou Sanogo