Après de longs mois d’absence sur la scène musicale malienne, Rokia Traoré sera en concert au studio Blonba le 16 mai 2008. Ce spectacle consacre aussi la sortie mondiale du nouvel album de la fine « Rose » du Bélédougou, « Tchamantché ». Après « Bomwboï » (disque d’or en France) elle revient avec un opus en totale rupture de style.
Autant on ne présente plus Rokia Traoré, « grande dame de la chanson africaine, dont la voix lumineuse et les arrangements subtils ensorcellent depuis une dizaine d’années les amoureux des musiques métissées », autant c’est un privilège d’assister à ses spectacles, surtout au Mali où elle se produit rarement.
Toutefois, elle fait tout le temps l’honneur de lancer la sortie officielle de ses albums à partir de Bamako. Le spectacle du 16 mai prochain est donc une opportunité de découvrir son nouvel opus, « Tchamantché » (centre, milieu ou mi-parcours), qui est déjà bien accueilli par les critiques en Europe.
Ceux qui ont le privilège de savourer cette galette disent qu’il correspond à la vision musicale de Rokia Traoré : « faire de la musique africaine, mais rester une citoyenne du monde, emprunter à la tradition, mais jouer une musique de modernité, respecter l’existant, mais ouvrir le cœur et les oreilles à la multiplicité du monde ».
Et l’on peut tout reprocher à Rokia sauf qu’elle ne porte pas « ses convictions dans sa musique ».
Audacieuse à mourir, Rokia Traoré a pris des orientations artistiques qui en surprendront plus d’un sur son nouvel album, « Tchamantché ».
Elle chante toujours en bambara bien sûr, mais, à l’occasion d’un voyage nord-américain, elle a découvert le son patiné et atypique des vieilles guitares Gretsch, les premières guitares électriques du rythm’n blues. Elle a aussi appris à apprécier la musique afro-américaine et a re-découvert la voix intense de Nina Simone.
Poursuivant son exploration musicale, Rokia a donc abandonné les balafons et les percussions traditionnelles et a invité une rythmique occidentale pour se hasarder dans les univers tortueux du blues et du rock. Si le ngoni est toujours bien présent, un groove puissant et sensuel vient maintenant transformer la musique de la jeune chanteuse.
Et qui plus est, dans cet étonnant mélange, Rokia Traoré ballade sa voix avec une étonnante facilité, utilisant tous les registres possibles de son talent protéiforme.
L’accueil chaleureux des critiques
Cette métamorphose de la future impératrice de la musique malienne est bien appréciée de par le monde. La rupture est bien accueillie parce qu’elle va dans le sens de l’affranchissement de la musique africaine du ghetto conceptuel auquel elle est souvent condamnée par certaines maisons de disque.
Comme le dit un critique, Rokia dans son nouveau style, « rappelle des Africaines qui ont forgé leur identité plutôt que d’en hériter. Elle rappelle d’autres chanteuses, d’ailleurs, qui n’ont rien à voir avec la noirceur. Surtout, elle est unique. Parce que totalement dévouée à la recherche d’elle-même ».
Et d’ajouter, « c’est la finesse de la voix et ce calme qui émane des musiques » qui font aujourd’hui la force de cette fine Rose qui réapparaît aujourd’hui « en maîtresse de scène, diva rimée, impérieuse ».
Ce qui fait dire à cet autre critique que « le travail de création de Rokia Traoré est un pied de nez adressé à tous ceux qui voudraient parquer les musiques africaines dans une espèce de réserve naturelle coupée du monde, où l’homme blanc irait se ressourcer et se consoler des vicissitudes de la vie moderne ».
Autrement dit, ce nouvel album symbolise le refus de la jeune artiste d’être confinée dans le concept creux et souvent discriminatoire de « World music ».
La star du Bélédougou a sonné la révolte. Désormais, elle n’est plus world music. La rebelle entonne « The Man I Love » des frères Gershwin. Elle chante une « Lady » du Nigeria. Sans occulter ses propres créations puisées dans le riche terroir musical mandingue et qui flirtent avec le blues et souvent le gospel. Signe de cette maturité incontestable, sa voix a pris de l’ampleur.
Ce n’est donc pas pour rien que, en 4 albums, Rokia Traoré s’est imposée comme le talent le plus étonnant et le plus précoce d’Afrique de l’Ouest.
En effet, lauréate du prix RFI 1997, Rokia a suivi depuis, avec audace et constance, « une voie musicale équilibriste, loin des paillettes et du strass de la reconnaissance facile ». Elle s’est battue pour avoir droit à la reconnaissance mondiale qui est sienne aujourd’hui.
Alphaly Les Echos