Elles subissent injustement le mépris et les brimades de leur entourage
Le gaucher a longtemps été mal vu dans toutes les sociétés. Depuis l’Antiquité, il est observé opposition manichéenne entre la gauche et la droite. » La droite symbolise le bon, le beau et la gauche le mal, le sinistre. En architecture ancienne la représentation de l’enfer se situe à gauche et le ciel à droite . » Chez la plupart des peuples, on rencontre cette idée, de mauvais et
de bon, associée à la main gauche et à la main droite. Chez les Grecs, la main gauche est maligne et fausse. En revanche, tendre la main droite est un signe d’amitié, de relations loyales.
Les Chinois lettrés laissaient pousser les ongles de leur main gauche pour ne pas pouvoir se servir de cette main. Les Noirs de Guinée désignent la main gauche, sous le sobriquet de » la main-cabinet « . En effet ils se nettoient avec la main gauche après avoir satisfait leurs besoins naturels dans les toilettes. Lors des cérémonies de mariage dans les églises l’alliance est mise à la main gauche, pour neutraliser les méfaits de celle-ci. L’anneau est une sorte d’amulette qui préserve les gens mariés des tentations malsaines et des mauvaises intentions.
Dans notre pays et presque partout la main gauche est considérée comme malfaisante. Elle est marquée d’opprobre. Cette raison pousse beaucoup de parents « à transformer » dès l’enfance les filles gauchères en droitières à force de réprimandes, de gifles et de coups de fouets. Cette rééducation manuelle forcée entraînait parfois des troubles importants chez l’enfant, comme le bégaiement. »
Qu’est ce qui pousse une fille à être gauchère ? Est -ce une habitude ? Le fait d’être droitière ou gauchère n’a rien à voir avec une habitude prise. Cette aptitude naît d’une prédisposition cérébrale. Les psychologues constatent une différence relativement importante entre le cerveau d’une femme gauchère et celui d’une droitière. Elle va plus loin que la simple « inversion » des deux hémisphères.
plus intelligentes et éloquentes. La femme gauchère est une personne dont l’ensemble de la motricité serait meilleure avec les organes moteurs ou sensoriels gauches. Elle est réputée plus habile de la main gauche, mais aussi du pied gauche et plus généralement de tout l’hémicorps gauche, œil et oreille compris. Quelques chercheurs soutiennent que les gauchères sont plus intelligentes et éloquentes.
Aujourd’hui les mentalités ont évolué dans beaucoup de cultures. Être femme gauchère ne signifie plus être maudite. Mais ce n’est pas le cas au Mali. Les femmes gauchères sont toujours perçues dans notre pays comme des personnes portant la guigne et attirant le malheur sur leurs proches. Les femmes gauchères souffrent de ce phénomène naturel plus que les hommes gauchers. Elles sont traumatisées et battues pendant l’adolescence. À la limite elles sont marginalisées dans leur communauté. Les femmes gauchères en Afrique ne mènent pas une vie aisée. Car la plupart d’entre elles peinent à avoir un conjoint.
La mère de Mariam nous relate son calvaire depuis la tendre enfance jusqu’à l’âge adulte. » Ma mère raconte que quand j’étais bébé je prenais les jouets avec ma main gauche. Je tendais toujours cette main gauche la première ». La maman a toléré « cette déviation » ne sachant pas comment la corriger. Mais le calvaire de Mariam commença quand elle fréquenta l’école. » Ma tante ne pouvait pas souffrir de me voir écrire avec la main gauche se rappelle-t-elle. « Avec colère, elle m’arrachait la craie de la main gauche pour la remettre dans ma main droite. Comme je n’arrivais pas à écrire avec la main droite, ma tante m’attachait la main gauche dernière le dos pour m’obliger à utiliser ma main droite. Ma maîtresse d’école était sa complice. Cette dernière me battait en classe en m’ordonnant d’écrire avec la main droite » se souvient notre interlocutrice.
Ce furent des moments terribles pour cette enfant douce et toujours souriante. Mais son sourire éclatant qui s’épanouissait chaque fois que son regard croisait celui d’un membre de sa famille plaidait pour plus de tolérance à son égard. Au fil des ans la perséverance des parents a eu le dessus. Mariam a fini par écrire avec la main droite. Mais quand elle avait besoin de gommer ou de tirer un trait, la petite gauchère revenait à ses aptitudes naturelles. Elle se sert vite de sa main gauche. «Je peux vous assurer que la ligue de défense de la main droite est arrivée seulement à m’obliger à utiliser cette main pour écrire. J’accomplis tous les autres actes avec la gauche. Et je réussis tout à la perfection avec la main gauche.
Elle court très vite sur le clavier avec grand plaisir. Elle manie le couteau avec dextérité», dit en souriant Mariam, aujourd’hui fraîchement émoulue de l’Université de Bamako. Elle est actuellement cadre dans un service de la place.
marginalisés. Malheu-reusement le harcèlement et l’intolérance continuent de la part de collègues hommes et femmes. Ils ont tous les yeux ronds la première fois qu’ils découvrent qu’elle se sert de la main gauche. Mariam avoue qu’elle continue d’être victime de ce que les droitiers considèrent comme un handicap. Il n’y a pas une semaine révèle notre jeune dame quand elle prenait son déjeuner dans une cantine de la place un de ses patrons lui a fait le reproche de manger avec la main gauche. « Tu ferais bien, lui a-t-il lancé, de descendre sur terre petite assimilée. Tu n’es pas en Europe mais en Afrique. Tu sais parfaitement très bien ce que nous autres africains pensons de la main gauche ». Cette réaction de la part d’un intellectuel prouve à suffisance que les gauchers resteront longtemps mal vus, voire marginalisés au Mali.
Une autre illustration. Une autre histoire. Fatoumata aussi est gauchère. Elle a été contrainte de divorcer parce qu’elle est gauchère. » Mes beaux-parents n’acceptaient pas leur belle fille gauchère. Ils soutenaient même que le musulman ne doit en aucune manière manger la nourriture préparée par une femme gauchère.
Ils ont catégoriquement refusé de manger mes préparations. Ils ont ensuite menacé mon époux de choisir entre ses parents et son épouse qui traîne la poisse. Vous connaissez le reste de l’histoire », conclut-elle triste.
Actuellement Fatoumata essaie de refaire sa vie avec un autre homme. Mais elle en doute profondément. » Qui sait ce qui va se passer encore. Le problème n’est pas l’homme mais son entourage. Est -ce que son entourage ne va pas mettre la pression à l’exemple des parents de mon premier mari « , s’interroge notre interlocutrice.
Notre dernière héroïne, Oumou Guindo, souffre aussi le martyre. Le calvaire que vit cette gauchère est incomparable. Elle affirme que sa tante déposait une braise dans la paume de la main gauche pour l’empêcher de s’en servir.
Cette tante bloquée sur ses croyances rétrogrades ne ratait aucune occasion pour me présenter aux autres comme une enfant porte malheur. La mégère ne cessait de répéter à mes parents de me contraindre à utiliser ma main droite pour conjurer le mauvais sort. La guigne que je porte pourrait causer leur mort. L’argument massu qu’elle assénait était qu’une fille gauchère ne réussirait jamais dans la vie tant que ses deux parents vivent », se souvient Oumou.
Les parents doivent respecter leur fille gauchère telle que le Tout Puissant l’a créée. Contrarier une gauchère peut avoir des conséquences psychologiques sur sa confiance en soi, sur son langage, sur son ouverture vers les autres, sa socialisation. Hélas les idées reçues ont la vie très longue. Surtout quand elles sont relayées par des autorités morales parentales qui canalisent l’éclosion des aptitudes physiques et intellectuelles des enfants.
Mariam A.Traoré