Des enfants qui, selon un haut responsable d’ONG, « ont trop vite grandi« , et qui ne connaîtront peut-être plus jamais ni la joie de s’amuser, ni le bonheur de s’épanouir, encore moins de bénéficier de la chance de ces enfants dits « ordinaires » de leur âge, c’est-à-dire ceux qu’on dit avoir été « normalement » élevés dans le giron familial.
Des enfants, pour la plupart du temps, employés dans l’informel (les métiers et professions libéraux), enrolés, inscrits à l’école coranique, ou tout simplement abandonnés ou réduits à la mendicité.
Des âmes en peine
Mal nourris, mal vêtus, mal rémunérés, sinon pas du tout, ces gosses bossent jusqu’à des heures impensables, le plus souvent sans salaire ni entretien de la part de leurs employeurs, que disons-nous : de leurs maîtres !
En longueur de journée -et même de nuit-, on les voit trimer dans des métiers aussi inaptes que dangereux pour leur jeune âge : à la forge, à la menuiserie, à la mécanique, à la soudure, dans les transports (en tant qu’apprentis)… Ils sont souvent réduits ou contraints à vendre de l’eau en sachet, à la criée, ou tout simplement errer sans but dans les rues, tels des âmes en peine.
Avec l’aval et même la bénédiction de leurs parents très souvent démunis et surchargés par les soucis quotidiens, ces enfants abandonnent les bancs de l’école, soit par paresse ou lassitude, soit par qu’ils y sont poussés ou encouragés, toujours par leurs parents.
Du reste, certains n’y ont jamais été inscrits : leurs parents préfèrent plutôt les garder afin « qu’ils les aident pour les soulager de leurs devoirs et qu’ils contribuent aux besoins de la famille« . C’est du moins, selon nos investigations, la justification que ces enfants eux-mêmes et leurs parents donnent à ce travail que certains citoyens trouvent « forcé« .
Un travail qu’employeurs et géniteurs de ces enfants se refusent pourtant à considérer comme une forme d’exloitation. D’où le témoignage de ce vulcanisateur qui « emploie » sept enfants dont l’âge varie de… 6 à 10 ans : « Que voulez-vous? Ce sont leurs parents eux-mêmes qui nous les envoient, en insistant pour que nous les prenions et les éduquons à leur place. Pour leur rémunération, on leur donne ce qu’on peut. Après tout, ce sont des enfants qui apprennent« .
Et ce père polygame d’une famille de… 12 enfants, de déclarer, à se lamenter presque, devant ses deux épouses : « Certains de mes enfants sont bien à l’école. Mais je ne gagne pas suffisamment d’argent pour les y inscrire tous. Je veux bien qu’ils réussissent tous. C’est pourquoi j’ai envoyé les autres apprendre des métiers chez des gens de mes connaissances« .
A la question de rémunération de ses enfants, le père répond : « Je ne peux pas leur réclamer une rémunération pour ces enfants. Car ceux qui les ont pris m’ont en quelque sorte ôté l’épine du pied. Ils peuvent, à la rigueur, leur donner de l’argent de temps en temps pour leurs petits besoins, s’ils le peuvent. L’essentiel pour moi, c’est que mes enfatns apprennent quelque chose dans la vie avant de grandir. Ainsi, ils pourront se débrouiller d’eux-mêmes plus tard « .
Face à des arguments aussi « imparables« , il semble difficile d’en vouloir à ce père de famille, encore moins de l’accuser. Il n’en demeure pas moins que ces enfants sont exposés à bien des dangers inhérents à l’exercice même de leur métier. Sans compter que très souvent, ils sont maltraités soit par leur employeur, soit par les jeunes plus âgés qui exercent le même métier qu’eux.
Innocence ou « revers de la médaille »?
Dans les traditions des pays africains en général, et ceux ouest-africains en particulier, -et même ailleurs-, ce travail précoce, si pénible soit-il, est pourtant assimilé à …une forme d’éducation de l’enfant : c’est le cas aussi, entre autres, des travaux ménagers et champêtres effectués par l’enfant.
En cas d’accident de travail, il est rare que ces enfants bénéficient de soins adéquats. Mais le plus étonnant, c’est que ces enfants se sentent le plus souvent fiers de leur « statut de travailleur« , lorsqu’ils se comparent à leurs semblables qui vont à l’école et qu’ils conidèrent généralement comme « immatures« .
Aussi, un petit apprenti mécanicien, âgé d’à peine 8 ans, affirme avec, un air mature de satisfaction : « Aujourd’hui, je sais réparer n’importe quelle panne de moto. Et souvent, je rapporte de l’argent à mes parents » ? Quelle est la profession de ses parents? Combien gagne-t-il pour ce métier? Est-il maltraité par son employeur ou par les collègues plus âgés? Face à ces questions, il reste muet comme une carpe et adopte une attitude presque terrorisé. Ce qui paraît ôter tout doute sur le traitement qu’on lui inflige souvent.
Quant à ce gamin -de la rue, cette fois-ci- âgé d’environ 9 ans, il n’a éprouvé aucune gêne pour décrire sa condition : « Mon père est mort ; et ma mère ne peut pas nous entretenir tous, car nous sommes cinq frères et une soeur à la maison. Alors, comme je suis l’aîné, je me débrouille pour aider ma mère« . Mais à la question de savoir qui (ou ce qui) l’a poussé à la mendicité, il garde (là aussi) un silence tacite.
Les différentes attitudes de ces enfants constituent-elles le revers de la médaille, le comble de l’innocence,… ou les deux? A qui faut-il imputer ce phénomène du travail précoce et de la mendicité de ces êtres trop juvéniles? A leurs parents, à la société ou à l’Etat? Toujours est-il que de nos jours, beaucoup d’enfants venant de l’intérieur du pays, ou même issus de familles bamakoises, se livrent audit phénomène, soit par nécessité, soit par contraine morale ou …corporelle.
Talibés ou enfants exploités ?
C’est le cas, par exemple, de ces petits « talibés » (élèves coraniques) âgés de 5 à 12 ans -et souvent plus- qui, dans les rues et les agglomérations, passent plus de temps à quémander des sous pour leurs maîtres qu’à étudier sur leurs tablettes. Certains d’entre eux sont tenus de rapporter, chaque jour, une certaine somme d’argent à leurs maîtres, sous peine d’être sanctionnés par des coups de fouet ou… de bâton.
Une correction qui rentre aussi dans le cadre… « de la soumission de l’élève à Dieu et à son maître« , tel que le soutient mordicus ce dernier. Autrement dit, dans la pauvre tête de l’enfant, on inculque l’idée que toutes les bastonnades qu’il reçoit de son maître constituent autant de bénédictions pour lui.
Mais les blessures issues de ce châtiment entraînent très souvent des sequelles tragiques chez l’enfant, en plus de les invalider ou les traumatiser, physiquement et psychologiquement, souvent pour toute la vie. Non seulement ces enfants n’apprennent rien ou si peu (parlant du Coran), mais la plupart d’entre eux s’habituent plutôt au banditisme, au contact d’autres enfants déjà irrécupérables de la rue.
Du reste, rares sont les maîtres coraniques qui se soucient des études de leurs pupilles. Et pour cause : seuls leur importent les pécules sonnants et trébuchants que leur rapportent leurs « élèves« . Pourtant (il faut le mentionner), l’inscription de ces enfatns à l’école coranique est une bonne initiative. Encore faut-il que ces enfants apprennent réellement, sans être traumatisés ou exploités à outrance.
En Mai 2003 déjà, rien que dans le District de Bamako et à Ségou, on dénombrait 171 écoles coraniques, dont 42 pratiquaient la mendicité, à travers 1566 élèves de moins de 15 ans.
S’il est dit que la mendicité n’est pas condamnée par les préceptes de l’Islam, il ne s’agit sûrement pas de celui qui est « en vogue » de nos jours, où cette exploitation abusive des enfants, par de prétendus maîtres coraniques, se fait dans un but exclusivement lucratif.
Que ces enfants deviennent plus tard des voleurs, des brigands ou des assassins, peu importe pour ces exploiteurs d’enfants, dont l’avenir semble n’avoir aucune importance pour eux. Et quand on pense que cette exploitation se fait sous le couvert d’une réligion qui prône pourtant autrement…
Oumar DIAWARA