Armées de bénédictions, conseils et recommandations des parents, notabilités et sages de leur village, elle quittent le seul endroit où elles ont jusque là vécu, pour affronter l’aventure, sinon l’inconnu, avec, pour tout bagages, leur petit baluchon sous les bras. Ainsi débarquent-elles dans la grande ville, galvanisées par leur « mission » et convaincues de retourner le plus tôt possible au bercail, munies d’un pécule assez substantiel pour mériter un accueil triomphal.
Mais hélas, pour beaucoup d’entre elles, c’est une amère désillusion qui les attend au bout de l’aventure, tant il est vrai que vouloir est une chose, mais pouvoir en est une autre.
De la conviction à la désillusion
Elles, ce sont ces aides-ménagères dont le souci est de rassembler un petit pactole avant le début de l’hivernage et de revenir au village pour aider leurs parents aux travaux ménagers et champêtres. Du moins, tel était l’idée première nourrie et entretenue par celles que l’autre surnommait ironiquement « Cinquante-deux« , c’est-à-dire celles qui, durant les 52 semaines de l’année, triment sang et eau pour un semblant de salaire le plus souvent mal payé ou pas du tout.
Mais c’est sans compter avec les aléas et autres dures réalités de la vie auxquels elles n’ont pas été préparées. Aussi ont-elles vite fait d’oublier, sinon de dédaigner ou de mépriser et leur ancienne idée de retourner au village, et souvent même leurs conditions de vie originelles.
Et ce n’est pas pour rien que depuis belle lurette, les médias -en particulier, les radios de proximité- ont donné leur langue au chat, quant à la sensibilisation de ces aides-ménagères. On se rappelle, en effet, qu’à l’approche de chaque période hivernale, beaucoup de radios lançaient des messages de sensibilisation incitant ces « bonnes à tout faire » à retourner au village.
Mais ces dernières années, même si elles subsistent encore, ces campagnes médiatiques de sensibilisation n’en ont pas moins considérablement diminué en fréquence et en intensité. Toute chose (entre autres) qui a contribué à pousser ces aides-ménagères à verser dans la facilité, à tomber de la conviction à la désillusion, à renier leur première ambition, bref, à renvoyer aux calendes grecques la raison même de leur présence dans la grande ville.
De la désillusion à la dépravation
Ainsi, bien des « bonnes à tout faire » se sont tout bonnement transformées en « bonnes à ne rien faire« . Pire, certaines d’entre elles sont devenues si mauvaises qu’elles se sont muées en …filles de joie ou femmes d’affaires douteuses de toutes sortes.
Ainsi, de la tombée de la nuit aux aurores, on les voit sillonner la ville par grappes entières, le plus souvent accompagnées de leur copines ou accrochées aux bras de leurs « Jules » du village. Elles disposent de leurs lieux favoris de rencontre -des quartiers souvent très distants de leurs lieux de travail- où elles se rassemblent par affinités ou selon leurs origines. Et très tôt le lendemain matin, elles retournent à leur emploi et se remettent au turbin.
C’est dans ces lieux de rassemblement qu’elles passent également toute la nuit à deviser, à disserter, et à s’adonner à d’autres pratiques qui, le plus souvent, finissent par compromettre et leur travail, et la raison même de leur aventure.
La plupart d’entre elles sont des fillettes de dix à quinze ans, des jeunettes sans aucune expérience, tellement grisées par les mirages de la cité que le plus souvent, elles prennent les « vessies » de leurs illusions pour des « lanternes » de la réalité. Elles ont alors vite fait de déchanter, pour avoir abandonné les « oripeaux » de leur éducation villageoise et calqué leurs style et mode de vie sur ceux de cette citadine qu’elles envient, voire jalousent tant, mais qui, depuis longtemps, a pourtant « vendu son âme au diable« .
Aussi n’est-il pas étonnant de les voir tomber en grossesse, accoucher dans de mauvaises conditions, abandonner, ou souvent …tuer leurs bébés, soit parce qu’elles sont incapables de s’en occuper, soit parce qu’elles sont rejetées par leur patronne ou par le géniteur de l’enfant. Et de fil en aiguille, elles finissent par renier toutes les raisons qui les ont poussées à quitter leurs hameaux, et commencent alors à « tisser de la mauvaise toile« .
De la dépravation à la déchéance
L’humeur le plus souvent exécrable de la patronne, le volume énorme du travail par rapport à leur traitement, les mépris, insultes, brimades et autres maltraitances qu’elles subissent de la part de tous les membres de la famille de la patronne, le refus de cette dernière de la rémunérer… Autant de contraintes et de désagréments qui finissent par pousser les « bonnes » à devenir mauvaises, sinon inconscientes, irresponsables..
Et les voilà qui se révoltent, qui clament leur ras-le-bol aux assiettes et autres casseroles, qui veulent en finir une fois pour toutes. C’est alors qu’elles s’acoquinent avec une amie qui s’avère le plus souvent être une mauvaise conseillère, ou avec un « élu du coeur » (une façon comme une autre de se soulager). Elles envoient alors paître leur boulot qu’elles considèrent désormais comme de l’exploitation ou de l’esclavagisme.
Il arrive que les plus délurées usent d’artifices ou de séduction pour « détourner » ou ravir le cœur du mari de leur patronne. Et elles y parviennent souvent ; et puisqu’après tout, la « faim » d’un mariage justifie les moyens de la séduction. Surtout qu’il y en a qui parviennent à se faire épouser…
Mais au delà de tous ces problèmes, il y a cette grossesse qui fait que la plupart d’entre elles n’osent plus retourner au village : la honte, le déshonneur, la crainte d’être indexée, rejetée, voire reniée… Alors, puisque tout est désormais remis en cause, elles préfèrent rester et assumer jusqu’au bout, quoi qu’il advienne, plutôt que de retourner « comme çà » au village. Alors, elles se cachent, de peur d’être ainsi répérées par une connaissance.
Mais il y quand même celles qui avortent pour bénéficier d’une autre chance ou d’une occasion de refaire leur vie au milieu des leurs : un cas pourtant très rarissime. Alors, elles continuent de fantasmer sur de vains espoirs, toujours bercées par le chant des sirènes de la cité.
Elles ne tiennent plus à gagner leur pain à la sueur de leur front, oh que non : elles estiment avoir dépassé ce stade, puisqu’elles pensent devenues plus roublardes que les citadines. Et elles le prouvent par leur allure provocatrice, par leur habillement outrageant qui sent néanmoins la villageoise, par leurs propos et verbes qu’elles veulent volontiers dévergondés.
Mais la gaucherie due à leur origine et leur dialecte du terroir viennent toujours attester qu’elles « viennent de loin » : ce dont elles ne peuvent se défaire, en dépit de leur bonne volonté. Car, comme on dit, « on a beau le chasser, le naturel revient toujours au galop« . Comme pour signifier : « qu’un morceau de bois a beau séjourner durant des siècles dans l’eau, il ne se transformera jamais en caïman ».
Oumar DIAWARA